Lumière

Projections et ricochets

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 9 juin 2010 - 616 mots

Mischa Kuball utilise la lumière comme un outil subversif. En trente ans, Mischa Kuball a fait de la lumière son medium de prédilection : il en explore les qualités esthétiques autant qu’il exploite ses ressorts critiques.

BREST (FINISTÈRE) -  Cette grande figure de l’art contemporain allemand, que le public peut découvrir à Metz où il a réalisé une vaste installation lumineuse pour l’inauguration du Centre Pompidou, est au demeurant mal connu de ses voisins français. L’exposition personnelle que lui consacre le centre d’art Passerelle à Brest revient sur un œuvre original qui recoupe les préoccupations critiques nées dans le contexte postmoderne. Ainsi la sélection d’Ulrike Kremeier, directrice du centre d’art, fait-elle la part belle aux œuvres entamées dans les années 1990 sur le thème du Bauhaus, qui trouvent là le motif pour réévaluer l’héritage moderniste – avec un goût certain pour l’espièglerie.

Modern rundum (1994-2004) est une série de photographies qui décrivent la superposition de deux projections : celle, distordue, d’une photo d’architecture moderniste, et d’une forme géométrique typique dont la lumière vient masquer en partie la première image. La déformation irrévérencieuse et la redondance (voire le pléonasme) mettent à distance l’autorité du modèle. L’effet tautologique révèle  la sclérose de l’histoire de l’art et la vacuité d’une célébration ressassée des héros modernes. Déjà, une critique plus large des phénomènes retors de la médiatisation s’aperçoit dans ce dispositif, qui additionne la lumière à la lumière avec la disparition comme résultat.

Plus loin, le répertoire de formes édicté par le Bauhaus hante l’artiste au point qu’il expie sa névrose dans un millier de combinaisons à quatre signes (ou formes) (Bauhaus-Los, 1990). Autant de billets de loterie ou de solutions à un problème non posé, ces collages évoquent la recherche entêtée d’une réponse, une vérité sur le monde dans le décryptage de sa norme. Le format imposé à la vie quotidienne – traduction satyrique du projet moderniste – est aussi le sujet d’Appartement (1992). Quatre projecteurs font apparaître des fragments d’un intérieur sur des portes de modèle standard. Ici, comme dans plusieurs œuvres, la forme géométrique projetée sort du cadre (la porte), comme pour manifester l’irréductibilité de l’individualité à une case prédéfinie. La dialectique public-privé, caractéristique dans l’œuvre de Kuball, trouve une autre forme dans l’utilisation de films amateurs. Deux projections vidéo sont présentées ici. Amateurfilm (2006) reprend la mise en abyme de Modern rundum : c’est le film d’un film de vacances, où apparaît l’ombre de la caméra invitant donc à se regarder regardant. Antikino met plus violemment le spectateur à l’ère de l’hypermédiatisation face à son narcissisme ; cette fois, le film du film a été pris face au projecteur. Ébloui par le spot-light flatteur, le spectateur n’a plus qu’à constater la vacuité de l’opération et sa propre inertie en tant qu’acteur désigné par cette lumière.

Mises à l’épreuve
Acteur, il l’est dans la plupart des œuvres de Mischa Kuball qui privilégie les interventions dans l’espace urbain comme autant de mises à l’épreuve du public. Une de ces "situations", Space-speech-speed (1998), est actualisée à Brest. Dans une pièce noire, trois mots sont projetés sur des boules à facettes dont la rotation disperse les fragments de lettres formant une constellation mouvante. L’émerveillement, bien que confirmant le talent du plasticien, sert là encore les recherches du diplômé en psychologie et critique des médias. Alors que le spectateur perd l’équilibre par l’effet d’optique, le dispositif fait éclater les termes ordinaires de la perception (l’espace, le langage, la vitesse), et le système alphabétique du même coup, pour redessiner l’espace mental.

/PRIVATE/GEOMETRY/PARTICULARISATION OF FORM/DE MISCHA KUBALL, jusqu’au 14 août, centre d’art Passerelle, 41, rue Charles-Berthelot, 29200 Brest, tél. 02 98 43 34 95, www.cac-passerelle.com, tlj sauf dimanche et lundi 14h-18h30, le mardi 14h-20h

MISCHA KUBALL

Commissaire : Ulrike Kremeier, directrice du centre d’art Passerelle
Nombre d’œuvres : environ 30

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°327 du 11 juin 2010, avec le titre suivant : Projections et ricochets

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