Bordeaux

Profession précurseur

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 19 juin 2012 - 686 mots

Dix ans après la disparition de son auteur, l’œuvre de Michel Majerus apparaît toujours étrangement anticipative des développements de l’époque.

BORDEAUX - « Rien n’est permanent » (Nothing is permanent, 2000), affirme sans fioritures un tableau de Michel Majerus (1967-2002) inscrit dans le parcours que lui consacre cet été le CAPC Musée d’art contemporain de Bordeaux. L’événement mérite d’être salué, première exposition monographique consacrée dans l’hexagone à l’artiste luxembourgeois, prématurément disparu dans un accident d’avion à l’âge de 35 ans.

Aussi fulgurante – une petite dizaine d’années – que sa production fut pléthorique  avec quelque 1 500 œuvres référencées, sa carrière fut marquée par un acte de naissance en forme de coup d’éclat révélateur, lorsqu’en 1992 lui-même et des comparses, arborant des masques de chiens, circulent dans l’installation de Joseph Kosuth, son ancien professeur, lors de l’inauguration de la Documenta IX à Kassel ; manière s’il en est de réinterroger l’autorité. Or, ces questionnements de l’autorité et de l’impermanence des choses sont précisément centraux dans une œuvre synthétisant habilement toutes les problématiques de son époque, au point d’afficher aujourd’hui un profil très anticipateur des développements du monde… pas seulement artistique.

Une fois encore, le CAPC ne fait pas mentir sa réputation de parvenir à insérer régulièrement dans sa splendide nef des œuvres hors-normes et iconiques, avec ici une rampe de skate imaginée en 2000 et qui semble avoir été taillée pour les lieux (If we are dead, so it is). Outre qu’elle déploie parfaitement les préoccupations de l’artiste relatives au dispositif pictural pensé tel un art du packaging – qui en fait à ce titre un digne héritier du pop art – au style nerveux et accrocheur, où se mêlent références relatives à la culture de la marque, slogans générationnels défiant les règles et une forme de musicalité, elle intègre aussi la vitesse, élément essentiel.

Contemporanéité
Car si « rien n’est permanent » c’est que Majerus a d’emblée intégré sa peinture comme part d’une nouvelle ère, où la communication se fait plus rapide, et la circulation de l’image avec elle. Internet n’existe alors que depuis quelques années, mais l’artiste, qui conçoit sa peinture grâce à l’outil informatique, perçoit immédiatement que la culture va s’en trouver à jamais bouleversée dans sa construction et son évolution, grâce notamment à une profusion d’images et une « remise à plat » du motif et de l’information déniant la hiérarchie ; l’autorité toujours !

À la manière d’un DJ, Majerus produit des boucles, visuelles celles-là. Comme le son avec le sampling (échantillonnage), il capture des motifs avant de les monter et de les répéter en induisant des variations, ce que met formidablement en avant l’accrochage. Comme un Kelley Walker ou un Wade Guyton bien plus tard, il travaille ainsi des séries d’œuvres où ne changent que quelques détails, telles ces toiles triangulaires ornées de bandes en diagonales manifestement inspirées par Frank Stella, où seules sont modifiées les couleurs (Pressure Groups 1, 2 et 3, 2002). Ou ces deux tableaux venus de l’univers du manga adoptant une structure strictement identique, à la différence que l’une, No More (1999), laisse apparaître des manques, des blancs dans la composition dessinée, et que l’autre, Enough (1999), se voit partiellement recouverte avec des aplats colorés rageurs.

S’amusant de son nom comme d’une marque, en plus d’en faire un tableau énergique en l’insérant dans un complexe jeu de zones chromatiques (mm1, 2000), l’artiste pousse l’idée jusqu’à le convertir en un film au titre on ne peut plus évocateur : Michel Majerus (2000). Variations du motif et vitesse d’exécution font là s’assimiler la construction d’une image et celle d’une identité, toutes deux devenues des entités en perpétuel changement inscrites dans des flux continus. Une approche que résume on ne peut mieux une phrase glissée sous un code barre agrandi sur un grand tableau (Cool White, 2000) : « never the same again », jamais la même chose !

MICHEL MAJERUS

Jusqu’au 23 septembre, CAPC – Musée d’art contemporain, Entrepôt Lainé, 7, rue Ferrère, 33000 Bordeaux, tél. 05 56 00 81 50, www.capc-bordeaux.fr, tlj sauf lundi 11h-18h, mercredi 11h-20h. Catalogue co-éd. Distanz, Kunstmuseum Stuttgart, CAPC, 224 p., ISBN 978-3-942405-56-0, 44 euros

MAJERUS

- Commissaire : Charlotte Laubard, directrice du CAPC

- Nombre d’œuvres : 32

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°372 du 22 juin 2012, avec le titre suivant : Profession précurseur

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