Bilbao

Processus harmoniques

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 30 juillet 2007 - 715 mots

Le Musée Guggenheim revient sur la carrière de Pablo Palazuelo à l’abstraction rythmique et ésotérique.

 BILBAO - Cette peinture est faite d’ordre. Parfaitement délimités, les plans se frôlent ou se percutent sans jamais se fondre ni se confondre (Variation, 1951 ; Persan, 1965-71). Ils font montre de confluences et de réseaux complexes d’éléments disparates, dont la prolifération ne semble pourtant pas brouillonne (De Somnis VII, 1998 ; Smara V, 1970). Toujours secs et incisifs, traits et lignes parfois se croisent, mais jamais ne se perdent, laissant à l’œil la possibilité de les suivre, de recomposer des chemins ardus mais accessibles à qui souhaite s’y aventurer (Cantoral, 1973).
Picturaux ou graphiques, les savants ordonnancements de Pablo Palazuelo – né à Madrid en 1915 – jalonnent un œuvre à la temporalité étendue (l’artiste travaille encore !), dont la pleine maturité fut atteinte au cours des années 1950-1960, point de départ de l’exposition présentée aujourd’hui par le Musée Guggenheim de Bilbao. Ce travail affirme notamment une singulière continuité, comme une logique visuelle qui l’homogénéise, alors même que ses attributs formels en ont été modifiés, décennie après décennie. Effectuer la visite à rebours s’avère d’ailleurs éclairant et renforce encore cette sensation, d’autant plus que le parcours proposé n’a pas été pensé selon une stricte chronologie.

Aspects organiques
S’il est un caractère commun aux œuvres de l’artiste madrilène, c’est une tension permanente qui s’établit entre des formes, dont il cherche sans cesse de nouvelles occurrences. Qu’elles acquièrent leur plus grande souplesse au cours des années 1960 (Omphale II, 1962 ; Lands, 1961…) – jusqu’à se parer d’aspects organiques –, ou qu’elles développent des expressions plus raides, une abstraction plus synthétique, au cours des décennies suivantes (Umbra, 1972 ; Monroy I, 1974 ; Sylvarum / Varia I, 1986…), constamment est patente la quête d’un équilibre dynamique sur le fil duquel va tenir la composition.
C’est en 1953 que Palazuelo définit ce qu’il nomme la « transgéométrie », soit le transfert et l’intégration des rythmes de la nature au sein des arts plastiques. L’œuvre de l’artiste apparaît en effet comme un vaste et complexe jeu de construction dont aucune des composantes n’est à proprement parler inventée. Toutes relèvent de la transposition de rythmes et de dispositions naturelles appliqués à une géométrie en renouvellement perpétuel, qui toujours ouvre des possibilités, mais en aucune manière ne s’assimile à de la représentation.
C’est la permanence de ce mode de recherche qui a inspiré son titre à l’exposition : « Processus de travail ». Un processus dont la qualité même aide l’artiste à se détacher totalement des questionnements et contingences d’une abstraction formaliste alors très en vogue. À l’inverse, il le conduit à aller puiser ses ressources dans une quête mystique et ésotérique, où l’épuration formelle veut tendre vers une poésie harmonieuse et révéler l’invisible. L’usage du familier l’aide à matérialiser l’inconnu. De l’équilibre et des relations établies entre les formes émerge son œuvre. L’influence des philosophies orientales est ici manifeste, comme en témoigne une série de tableaux intitulés Mandala (1956-58).
Chez Palazuelo, la quête de rythme et d’harmonie s’accompagne également, de manière approfondie, d’une fascinante réflexion sur la musique. S’orchestre ainsi, au gré des salles, comme une partition particulièrement perceptible dans des travaux graphiques, à travers de nombreuses feuilles marquées de traits à mainlevée sûrs et énergiques. Relativement aérées au début, ces compositions deviennent de plus en plus touffues, comme dans la série Segundo cantoral (1978) où le noir prédominant semble laisser apparaître en creux le contenu d’une musique abstraite. L’un des aboutissements de ces recherches tient dans la vaste série de toiles et dessins El numero y las aguas (1978-93). Des travaux qui, en 1986, donnèrent naissance, avec la collaboration du compositeur belge Frédéric Nyst, à un disque du même intitulé où fut élaborée, grâce à un système informatique créé par Iannis Xenakis, une correspondance entre les signes graphiques et les sons… aussi secs les uns que les autres au demeurant !
Au terme de cette dense promenade dont le visiteur sort repu, s’imposent un artiste singulier et la cohérence d’un univers en redéfinition constante, où « ce que voit l’imagination ne sont pas des inventions mais des découvertes. »

PABLO PALAZUELO – PROCESSUS DE TRAVAIL

Jusqu’au 3 juin, Museo Guggenheim Bilbao, Abandoibarra, 2, Bilbao, tél. 34 94 435 90 80, www.guggenheim-bilbao.es, tlj sauf lundi 10h-20h. Catalogue co-éd. Museu d’Art Contemporani de Barcelona / Museo Guggenheim Bilbao, 336 p., ISBN 84-89771-35-9.

PALAZUELO

- Commissariat : Manuel Borja-Villel, directeur du MACBA de Barcelone, et Teresa Grandas - Nombre d’œuvres : environ 350 - Surface d’exposition : 2 500 m2

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°258 du 27 avril 2007, avec le titre suivant : Processus harmoniques

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