Affichistes

Pour mémoire

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 2 juillet 2008 - 569 mots

Le Musée d’Épinal revient sur le travail
de Jacques Villeglé, vu à travers ses collectionneurs.

Épinal - Précédant la grande rétrospective dédiée cet automne à Jacques Villeglé par le Centre Pompidou, à Paris, le commissaire de l’exposition du Musée d’Épinal (Vosges) a choisi l’angle de la collection – publique et privée – pour parcourir l’œuvre de ce vétéran du Nouveau Réalisme. Ce parti pris, au-delà de transmettre, à travers le regard de l’amateur, le goût pour les affiches lacérées des plus anciennes aux plus récentes, ancre le propos dans un discours historique, voire historiographique. Il pointe avec pertinence le rôle du collectionneur dans le processus de reconnaissance d’une œuvre qui tarda à rejoindre le musée. Il témoigne aussi du soutien de personnalités restées dans l’ombre, comme le marchand Guy Pieters et surtout Bernard Huin, ancien conservateur du Musée d’Épinal, élève de Pierre Restany et premier défenseur de l’œuvre de Villeglé. Ainsi la rétrospective soulève-t-elle en filigrane – voir avec les petits formats que l’artiste a été contraint de signer – le dilemme de la marchandisation et de l’institutionnalisation d’une œuvre qui s’est construite sur la critique de ces instances.
Du point de vue de la collection comme engagement, est ici réévaluée l’importance historique du geste de l’artiste, lequel encadre sa première affiche lacérée en 1949. Par là, Villeglé confère un statut d’œuvre d’art à un objet de rebut, pioché dans la rue, détruit – plutôt que fabriqué – par la main d’un inconnu. Issus de la collection Jan A. Ahlers, les premiers lacérés, dont les compositions colorées semblent mimer les toiles de Georges Braque (Rue de Braque, avril 1958) ou de Nicolas de Staël (Rue des Blancs-Manteaux, mars 1958), rappellent la doctrine de celui qui n’a cessé de « chercher la peinture dans la non-peinture ». Avec les « lacérés anonymes », qui mettent à mal le concept d’art et bouleversent son système de valeur, Villeglé a tracé, au-delà du Nouveau Réalisme, une voie vers un art participatif et sans auteur qu’exploreront les années 1970.
La mémoire apparaît comme la ligne de fuite du parcours construit autour d’une œuvre qui, elle-même, dans ses couches stratigraphiques, cristallise l’histoire de la rue, du général (les révoltes de Mai 68) au particulier (quand l’artiste s’attache volontairement aux petites annonces de « J.-J. Hains, masseur à domicile », apparaissant sur plusieurs affiches).
La rétrospective de l’œuvre est aussi celle de son matériau : depuis l’affichage sauvage des tracts communistes jusqu’aux palissades des boulevards périphériques où se démultiplient les icônes pop. Les lacérés, qui portent l’empreinte tant des modifications des techniques publicitaires que des mutations sociales, évoluent à leur insu jusqu’à défendre une position intenable. Alors que le paysage urbain reflète de plus en plus une société normalisée, les élans libertaires de Villeglé ne se traduisent plus que par le recours à l’alphabet « sociopolitique » qu’il confectionne de retour dans l’atelier, depuis le « A », symbole de ralliement des anarchistes d’autrefois. Cet alphabet est utilisé pour l’écriture des noms consacrés par l’histoire de l’art sur le Mémorial sociopolitique inauguré dans le jardin du musée. Son emploi confirme que le temps est à la célébration d’une posture artistique qui est entrée dans l’histoire.

JACQUES VILLEGLÉ, DE LA TRANSGRESSION À LA COLLECTION, ITINÉRAIRE D’UNE ŒUVRE DE 1949 À 2007

Jusqu’au 1er septembre, Musée départemental d’art ancien et contemporain, 1, place Lagarde, 88000 Épinal, tél. 03 29 82 20 33, tlj sauf mardi 10h-12h30 et 13h30-18h.

JACQUES VILLEGLÉ

- Commissaire de l’exposition : Philippe Bata, conservateur - 5 collections représentées : Jan A. Ahlers, Patrice Couturier, Guy Pieters, Jacques Villeglé, FRAC Bretagne

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°285 du 4 juillet 2008, avec le titre suivant : Pour mémoire

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