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Suisse

Politique spectacle

À Bâle, le Musée Tinguely expose un Kienholz très inégal, s’affaiblissant lorsque trop littéral.

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2012 - 706 mots

BÂLE - Les bonnes expositions repositionnent les artistes à leur juste place. Ainsi en est-il de l’accrochage consacré au travail d’Edward (1927-1994) et Nancy Kienholz proposé par le Musée Tinguely, à Bâle : une trentaine d’œuvres propose un survol d’une carrière prolifique que l’ampleur des pièces, comme leur fragilité, empêche de regrouper en de véritables parcours rétrospectifs.

BÂLE - Les bonnes expositions repositionnent les artistes à leur juste place. Ainsi en est-il de l’accrochage consacré au travail d’Edward (1927-1994) et Nancy Kienholz proposé par le Musée Tinguely, à Bâle : une trentaine d’œuvres propose un survol d’une carrière prolifique que l’ampleur des pièces, comme leur fragilité, empêche de regrouper en de véritables parcours rétrospectifs.
Organisée en partenariat avec la Schirn Kunsthalle de Francfort, la présente exposition prend appui sur une majorité d’œuvres conservées en Allemagne. Or, si elle replace les choses à leur juste niveau, c’est qu’elle rend limpide la très grande inégalité qualitative présidant au travail de l’artiste. L’évoquer implique d’ailleurs de jongler entre singulier et pluriel, entre un Edward Kienholz qui, à son arrivée à Los Angeles en 1953 gagne sa vie avec de multiples petits boulots tout en développant un travail singulier, et Edward et Nancy Kienholz, qui cosignent l’ensemble de leurs œuvres à la suite de leur mariage en 1972. Une thèse de doctorat pourrait d’ailleurs être consacrée à ces relations de couple qui ont redéfini des trajectoires esthétiques, quand elles n’ont tout simplement pas conduit à une réattribution quasi complète de l’œuvre. Loin de faire un procès d’intention à la part féminine du duo, force est de constater que l’implication de Nancy Reddin Kienholz correspond à une radicalisation d’un discours politique auparavant déjà très prégnant, accompagnée par la montée en puissance d’une forme de virulence esthétique pas toujours des plus heureuses. L’exemple le plus frappant en est The Ozymandias Parade (1985), spectaculaire et lourde installation située en position centrale du parcours, dont le caractère très verbal et passablement outrancier peine à convaincre ; une allégorie des abus d’un pouvoir politique ayant perdu le sens des choses est figurée par des mannequins représentant le président, le vice-président et un général paradant sur une avenue clinquante sous le regard de figurines symbolisant le peuple et les indigènes.

A deux la provocation est plus forte
Inlassable contempteur des fractures – religieuses, sociales, politiques, raciales, sexuelles… – de la société occidentale et d’une Amérique malade de ses conservatismes et de son étroitesse d’esprit – où il fait froid dans le dos de constater que beaucoup de questions soulevées dès le début des années 1960 sont toujours d’actualité, – Kienholz était auparavant apparu plus subtil. Après des débuts marqués par une approche de la sculpture voisine du travail des Combine Paintings de Rauschenberg, tout en alliant un esprit marqué par le Surréalisme, dont témoignent ici quelques très belles pièces des années 1962-1963, l’artiste politise son discours avec des « tableaux » sculpturaux simples, directs et efficaces, percutants dans l’image autant que dans le discours, sans rajouts superlatifs ni emphase discursive. Ainsi en est-il de l’évocation de la guerre du Vietnam dans un salon bourgeois, où le téléviseur décomptant les pertes de chaque camp, et dans lequel flotte la tête d’un cadavre, a pris la forme d’une pierre tombale (The Eleventh Hour Final, 1968). Ou de cette évocation de la religion et d’une certaine naïveté de la croyance à travers une Nativité (1961) dont tous les protagonistes sont composés de rebuts. Admirables sont également les Concept Tableaux (1963-1965), simples définitions d’une situation à réaliser à leur convenance par leurs acquéreurs.
Mais lorsqu’elle devient trop bavarde et littérale, l’œuvre perd en qualité, à l’instar de Claude Nigger Claude (1988), double portrait d’un noir vêtu d’un jean lorsqu’il dirige un ascenseur et qui, devenu businessman en costume, s’est peint le visage en blanc ; ou encore d’un flipper auquel sont adjoints deux jambes écartées, symbole de la violence faite aux femmes (The Bronze Pinball Machine with Woman Affixed Also, 1980). Tout n’est pas sans intérêt dans les œuvres à quatre mains, mais trop souvent l’image choc et sans nuances, propre à faire immédiatement réagir, tente de s’imposer comme seul ressort d’une politisation du discours, dont elle réduit pourtant la portée.

KIENHOLZ

Commissaire : Andres Pardey
Nombre d’œuvres : 34

KIENHOLZ. LES SIGNES DU TEMPS

Jusqu’au 13 mai, Museum Tinguely, Paul Sacher-Anlage 1, 4002 Bâle, tél. 00 41 6 681 93 20, www.tinguely.ch, tkj sauf lundi 11h-18h. Catalogue Museum Tingule/Schirn Kusntalle Frankfurt, 246 p., ISBN 978 3 86335 087 1

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°368 du 27 avril 2012, avec le titre suivant : Politique spectacle

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