Art contemporain

RENCONTRE

Plonk (et Replonk), artisans de l’absurde

Connu pour ses cartes postales humoristiques, ce collectif d’artistes suisses œuvre dans le détournement d’images. Il a édité cette année deux ouvrages dans lesquels l’absurde le dispute à la poésie.

Hubert Froidevaux, alias Plonk, grimé en Donald Trump. © DR
Hubert Froidevaux, alias Plonk, grimé en Donald Trump.
© D.R.

La Chaux-de-Fonds (Suisse).« Ça joue, à jeudi. Nord 67 2e est. Bébert. » Notre correspondance par e-mails avait déjà tout d’un jeu de piste : il a d’abord fallu prendre la route vers le Jura, direction La Chaux-de-Fonds et s’aventurer dans les hauteurs de la ville ; suivre des avenues rectilignes à flanc de coteau scandées par des immeubles ouvriers du début du XXe siècle, peints dans des tons des plus hasardeux, du vert amande au rose bonbon ; passer çà et là, devant des ateliers d’horlogerie qui viennent rappeler que « La Tchaux », comme l’appellent les intimes, demeure la capitale incontestée de l’horlogerie suisse.

Ce matin-là, le ciel bas et brumeux s’accroche à la ville. Quand le regard réussit à dépasser les toits des habitations pour s’échapper vers les montagnes, il est aimanté par les premiers feux de l’automne qui animent les forêts. Enfin, nous y voilà. L’immeuble est bleu ciel ; c’est au deuxième étage. Le nain de jardin géant coiffé de lunettes de soleil et d’un casque de chantier posté sur le palier constitue la dernière pièce de puzzle : nous sommes bien chez Hubert Froidevaux, alias Bébert de Plonk et Replonk, « éditeurs d’inutilité publique ». Pull marin, barbe et lunettes, c’est sous de faux airs de capitaine Haddock qu’il nous ouvre la porte de son vaste appartement qui fait office d’atelier – « On a toujours pratiqué le télétravail », glisse-t-il malicieusement. Il est 10 heures et l’odeur du café envahit le foisonnant bureau-atelier où nous avons pris place autour d’une grande table en bois, sur laquelle s’empilent des prototypes d’objets (les « crécelles », des bretelles-cravates nouvellement inventées ou un « Marcel (de Proust) »), des livres et des CD. Bientôt, c’est un verre d’absinthe, le breuvage local produit non loin d’ici dans le Val-de-Travers, qui sera partagé avec Claude Stadelmann, vieux complice jurassien et réalisateur de cinéma. Ensemble, ils ont fait un film, Jura, terre promise (2018), et une exposition, « La sucrine royale », présentée jusqu’à fin octobre à la Saline d’Arc-et-Senans dans le Doubs. Mais où est donc passée l’autre moitié de Plonk et Replonk, Jacques Froidevaux, le cofondateur du collectif ? « C’est comme dans un vieux couple. On a beaucoup ri ensemble. Alors quand on ne rit plus, c’est qu’il faut se séparer », balaie le cadet. Depuis cinq ans, si le nom a subsisté, le collectif s’est scindé en deux et les projets se réalisent séparément.

Premiers aphorismes et photomontages

Tout avait commencé à quelques kilomètres de là dans les Franches-Montagnes où les frères Froidevaux, Jurassiens pur jus, ont grandi dans les années 1970. Durant les années collège et lycée, « un peu décalés par rapport aux autres élèves », l’aîné Jacques et son ami Miguel Angel Morales s’essaient aux aphorismes et publient leur premier fanzine ; le cadet Hubert, qui commence peu après des études de graphisme à Bienne, les rejoint et met en images les fantaisies de ses acolytes grâce à la première version du logiciel Photoshop sur son premier ordinateur. L’envol se fera dans les années 1990. Dans la biographie officielle, Le grand livre de Plonk et Replonk, on peut lire : « Le hasard veut qu’Hubert, Jacques et Miguel habitent tous les trois à La Chaux-de-Fonds, ville plutôt fréquentable pour les artistes de tout poil, ovnis sur pieds et rêveurs […]. C’est en tout cas un terreau fertile et une base toute désignée pour leur grand dessein. »

En 1995, « Plonk et Replonk éditeurs » voit le jour et les premiers photomontages naissent en 1997 avec une esthétique très reconnaissable, « composés et mis en scène à partir de documents photographiques remontant à la première partie du XXe siècle ou antérieurs ; conçus et légendés dans une perspective poétique et absurde, ils confèrent une vérité documentaire à des situations et événements des plus invraisemblables », comme les décrivent eux-mêmes les créateurs.

Les premières cartes postales sont sépia, « parce que le noir et blanc, c’est la vérité ! À une expo, devant un de nos photomontages avec le pont de La Chaux-de-Fonds et les chutes du Niagara, je me rappelle avoir entendu une dame dire à son amie : “Je m’en souviens, c’est quand les canalisations ont rompu en 1954 ! ” Évidemment, je n’ai rien dit pour ne pas fâcher… »

Le succès est immédiat en Suisse, puis très vite en France. À ce jour, six cents cartes postales et plus de 2 000 visuels ont été réalisés.

Derrière nous, trône une imposante pièce de mobilier historique du collectif – une ancienne armoire d’opticien dont les multiples tiroirs étiquetés dévoileront, au fur et à mesure de notre conversation, des réserves de « matériau de travail », des cartes postales du début du XXe siècle, comme les archives du collectif. Trois écrans d’ordinateurs et un scanner voisinent sur des bureaux. Au mur, des essais de photomontages en cours sont affichés ; le scan de l’image retravaillée est annoté de mots-clés et d’expressions qui serviront à trouver la légende aussi courte et percutante que possible. Un travail d’orfèvre que relève Claude Stadelmann : « Hubert possède la langue française, ses légendes sont ciselées. » La maturation est parfois longue : « Je peux mettre une heure pour faire une image et trois heures pour trouver la légende. » Le travail est minutieux, précis et artisanal, de la création à l’édition.

Vingt-six ans ont passé, le plaisir paraît intact, mais la création a évolué. De sépia, les cartes postales sont passées à la colorisation. Des clichés autour des villes et des régions de Suisse « tordant dans tous les sens les poncifs propres au support de la carte postale », les thématiques se sont diversifiées, abordant l’écologie ou plus récemment l’actualité du Covid-19. Des cartes postales, les projets sont devenus protéiformes : c’est le passage au livre – dernièrement des collaborations avec le Musée d’Orsay, Le Musée d’en bas (2017), puis Suissitude ultra-modernisteà l’occasion de l’exposition « Modernités suisses » –, à l’exposition (« Ouagadougou sur la lune » au Musée de l’Hôtel-Dieu de Porrentruy où le collectif a un espace consacré à l’absurde), à l’affiche ou au décor. L’humour décalé de Plonk et Replonk s’exporte aussi – leurs cartes postales se traduisent en anglais, en allemand, en portugais et même en russe.

Les inspirations sont nombreuses : purement artistiques comme le trahit, dans l’atelier, l’affiche d’une exposition barcelonaise de Marcel Duchamp – « Mon maître à penser », confesse Plonk –, mais aussi littéraires – on aperçoit un exemplaire du Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, une autre influence –, cinématographiques – les Monty Python –, sans oublier l’humour de Pierre Dac et Pierre Desproges. Alors, le travail de Plonk et Replonk est-il artistique ? « Je suis faiseur d’images », préfère dire Plonk, conscient que le terme « art » ne se voit que rarement appliqué aux « plonkeries ». « Lors d’une exposition dans une galerie, nous avons préféré titrer “art temporain” sur la vitrine. Allez savoir pourquoi ! »

1963
Naissance de Jacques Froidevaux au Noirmont (Jura suisse)
1966
Naissance d’Hubert Froidevaux
1995
Fondation du collectif Plonk et Replonk rassemblant les deux frères Froidevaux et Miguel Angel Morales
2017
Ouverture du Musée du Pire (Palais Incongru des Raretés Étonnantes) à Porrentruy (Jura suisse)
2021
Publication de Suissitude ultra-moderniste (Éditions Flammarion-Musée d’Orsay) et de La véritable histoire de la sucrine royale d’Arc-et-Senans

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°576 du 29 octobre 2021, avec le titre suivant : Plonk (et Replonk) artisans de l’absurde

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