Trois questions à

Pierre-Yves Balut, Maître de conférences à La Sorbonne (Paris-IV)

« Réintroduire la robe masculine »

Le Journal des Arts

Le 21 janvier 2005 - 543 mots

 Vous consacrez l’un de vos enseignements d’archéologie moderne et contemporaine aux passerelles existant entre l’art et la mode. Quels en sont les fondements ?
Avant tout, il ne faut surtout pas en faire l’une de ces questions rhétoriques habituelles de l’histoire de l’art, c’est-à-dire se demander en quoi il y a de la mode dans l’art et vice versa. Malheureusement, c’est souvent le cas. On ressort alors l’exemple de la robe Mondrian d’Yves Saint Laurent qui reste purement anecdotique. Autre question inutile mais récurrente : la mode est-elle de l’art ? Se demander quels sont véritablement les rapports entre l’art et la mode est un phénomène actuel. Cela remonte à la naissance de l’abstraction, c’est-à-dire au moment où se sont posées les questions du sens, de l’expérimentation indéfinie et de la banalité.

Les années 1960 et sa génération de couturiers désireux de privilégier le concept et l’expérimentation ont définitivement lié l’art et la mode. Quelle a été l’évolution de ce lien depuis ?
Attention, les années 1960 ne marquent pas une rupture ! Ce lien apparaît bien avant dans le travail de Madeleine Vionnet par exemple qui, dès l’entre-deux-guerres, expérimente les propriétés de la matière ou d’autres modes de composition. Les années 1960 vont continuer cette recherche et l’approfondir. Quand je parle de cette époque, je pense moins à Courrèges ou Pierre Cardin qu’à Paco Rabanne. Car les deux premiers n’ont fait, semble-t-il, qu’adapter leurs vêtements à l’évolution de la société tandis que Paco Rabanne a élargi le champ de l’expérimentation grâce à l’utilisation de techniques industrielles et de matériaux surprenants comme le métal (1). Malgré cela, les créations novatrices du couturier n’ont pas convaincu à l’époque. Sans doute était-il trop en avance sur son temps ! Le lien entre l’art et la mode a donc perduré. La mode s’est nourrie des préoccupations artistiques. Ainsi y retrouve-t-on un certain minimalisme (dans la coupe, les couleurs), notamment chez les Japonais tel Issey Miyake qui, avec sa fameuse robe bâtie dans une seule pièce, obéit à cette même volonté de simplification apparue plus tôt dans les robes antiquisantes de Madeleine Vionnet.

Comment analysez-vous les rapports entre art et mode aujourd’hui ?
Les créateurs, souvent en marge du système commercial, continuent techniquement d’expérimenter et de s’interroger sur la banalité contemporaine, et ce, bien plus que la haute couture qui n’a rien d’original. Ils analysent tout, modifiant au gré de leurs recherches matériaux et coupes. D’autant que, comme souvent dans l’art contemporain, il s’agit socialement de faire autrement. Marc Le Bihan récupère ainsi des tissus banals qu’il retravaille afin de découvrir et d’exploiter des qualités imprévues. Il s’agit typiquement d’une démarche d’art contemporain ! Mais la mode oublie sa raison d’être :   étymologiquement investir le social. Les créateurs produisent des vêtements importables alors que tout reste à faire. En effet, on nous propose toujours sensiblement les mêmes habits : un costume pour s’habiller, un manteau pour s’abriter… Personne n’a encore été capable par exemple de réintroduire la robe masculine, les essais de Jean Paul Gaultier se révélant peu convaincants. La mode réelle se fait toujours dans la rue quand la couture rentre dans les musées comme s’il s’agissait là d’une pratique morte.

(1) Cf.  Pierre-Yves Balut in cat. Paco Rabanne, Musée de la mode de Marseille, 1995.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°207 du 21 janvier 2005, avec le titre suivant : Pierre-Yves Balut, Maître de conférences à La Sorbonne (Paris-IV)

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