Photographie - Aux origines de William Eggleston

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 14 octobre 2014 - 712 mots

En noir et blanc ou en couleurs, l’enregistrement photographique de son environnement ramène à son positionnement premier, en témoigne l’exposition de la Fondation Henri Cartier-Bresson.

PARIS - Quoi de plus banal qu’une ampoule nue au plafond, qu’un four de cuisinière ouvert, que des Caddie dans un supermarché ? À l’orée des années 1960, à quoi pensait William Eggleston en les photographiant en noir et blanc ? La même question affleure quand on regarde ses photographies de rue, de voiture ou de bar de Memphis qui retiennent elles aussi l’attention par l’univers qu’elles décrivent en quelques scènes insignifiantes, par ce cadrage décalé, original, perturbateur.
Dès ses débuts, William Eggleston a bousculé les usages alors en vigueur dans la photographie documentaire. L’édition de la série « Before Color » réalisée en 2010 par Steidl, et conduite par l’Eggleston Artistic Trust, chargé de la préservation et de la représentation de son travail, avait levé un voile sur cette production largement méconnue. En proposant quatre ans plus tard d’examiner ce basculement du noir et blanc à la couleur chez Eggleston, Agnès Sire, la commissaire de l’exposition présentée à la Fondation Henri Cartier-Bresson, explore ce temps de l’œuvre qui n’a étonnamment fait l’objet d’aucune exposition ni d’aucune étude auparavant. Ce retour sur la construction de son écriture par ce pionnier de la photographie contemporaine témoigne pourtant des similitudes troublantes entre l’approche propre au noir et blanc et celle caractérisant la couleur.

Cartier-Bresson et Evans
Quelle que soit la pellicule employée, Eggleston photographie de la même manière les éléments de son quotidien à Memphis et ses proches. « Quand je suis passé du noir et blanc à la couleur, la seule chose qui a changé, ce sont les films », expliquait-il en 1996. Le regard s’affranchit des codes existants de la photographie et prend lignes et couleurs comme les éléments structurants d’un cadrage que le film couleur et le tirage Dye-Transfer accentuent en lui apportant du relief. Le jeune garçon poussant des chariots de supermarché a été la première photo couleur à laquelle il accorde de l’importance. Elle ne l’a pour autant pas conduit à arrêter le noir et blanc.

William Eggleston n’a jamais porté grand soin aux légendes et aux dates de ses images, comprenant souvent de grandes marges comme « 1960-1965 » ou « 1965-1974 » pour le seul noir et blanc. De la même façon, il ne s’est jamais longuement confié sur la place et le rôle de ces photographies dans la production couleur qui fera sa renommée. Les grandes lignes de sa biographie, données par le site de l’Eggleston Artistic Trust, n’abordent elles-mêmes jamais cette partie pourtant fondamentale, comme le montre si bien Agnès Sire. Sont relatés sa date de naissance, le 27 juillet 1939 à Memphis, Tennesse, où il réside toujours ; l’achat en 1957 de son premier appareil photo, un Canon remplacé un an plus tard par son premier Leica ; sa découverte en 1959 de « The Decisive Moment » d’Henri Cartier-Bresson et d’« American Photographs » de Walker Evans avant de commencer à expérimenter en 1965 le négatif couleur.

Pourtant, dans cette photographie noir et blanc, il pose sa vision de ce qui l’entoure, ses motifs. Et sa juxtaposition avec la couleur ramène au jeune homme qu’a été William Eggleston dans ces années 1960 et aux raisons qui l’on conduit à la photographie, à ses influences – notamment à William Christenberry qu’il rencontre à Memphis en 1963. Dans l’ouvrage qui accompagne l’exposition, Thomas Weski, professeur de cultures curatoriales à l’Académie d’arts visuels de Leipzig, auteur en 2008 de la rétrospective de William Eggleston au Whitney Museum, à New York, rapporte la confidence de l’artiste faite à Tom Young, son ami et mentor : « Je n’aime pas particulièrement ce qu’il y a autour de moi. » « Cela pourrait justement être une raison de faire des photographies », lui rétorque Young. « Tu sais que ce n’est pas une mauvaise idée », lui répond alors Eggleston. Et l’on imagine le jeune homme de bonne famille, pianiste accompli, féru de Bach, de jazz et de peinture, trouver dans la photographie l’enregistreur souple, aisé d’improvisations visuelles impulsives, spontanées et libres.

Eggleston

Commissaire : Agnès Sire, directrice de la Fondation Henri Cartier-Bresson
Nombre d’œuvres : 88 photographies, autant de couleurs que de noir et blanc

William Eggleston. From black and white to color

Jusqu’au 21 décembre, Fondation Henri Cartier-Bresson, 2, impasse Lebouis, 75014 Paris, tlj sauf lundi, 13h-18h30, le mercredi jusqu’à 20h30, le samedi 11h-18h45, www.henricartierbresson.org. Publication, éd. Steidl, 200 p., 38 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°421 du 17 octobre 2014, avec le titre suivant : Photographie - Aux origines de William Eggleston

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