Design

Petites conversations entre objets

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 12 novembre 2007 - 720 mots

À Paris, Grcic dialogue avec les œuvres du Musée des arts décoratifs.

Paris - Mettre en regard deux œuvres pour les interroger de concert ou, plus exactement, pour les faire se répondre est devenu un procédé à la mode. Les expositions dédiées au design s’y soumettent parfois. Lorsqu’elles se contentent de rester sur un plan purement formel, elles convainquent peu. C’est le cas notamment de la présentation « Design contre design », actuellement au Grand Palais, à Paris (Lire le JdA n°267, p. 24). D’autres, en revanche, méritent le détour. Aussi minuscule soit-elle – 180 m2 –, l’exposition « Small Talk » [« Petites conversations »], au Musée des Arts décoratifs, à Paris, est de celles-ci. Ledit musée a ainsi invité le designer allemand Konstantin Grcic – prononcer quelque chose comme « Gritchitche » – à composer des « dialogues » en juxtaposant une pièce de sa propre production avec une pièce choisie dans le fonds des Arts décoratifs. Au total, Grcic a inventé douze « tête-à-tête » d’objets. Pour accroître sans doute le sentiment de duos qui bavardent entre eux, il les a coiffés de « bulles » façon bande dessinée, dans lesquelles défilent les mots d’une possible conversation.
De prime abord, on pourrait s’étonner du choix du musée en faveur de Konstantin Grcic pour écrire ces fameux « dialogues ». L’homme, comme ses objets d’ailleurs, est, en effet, tout sauf bavard. « Je ne parle pas beaucoup, admet le designer. En revanche, il m’arrive parfois de parler aux objets, un peu comme ces gens qui discutent avec leurs plantes ou leurs animaux ». Ce principe même du « dialogue d’objets » lui est donc plutôt familier. « Cette idée de faire dialoguer des objets existe chez moi de manière très naturelle, souligne Grcic. Cela a très certainement à voir avec mon enfance. Je me suis toujours demandé ce qui se passe la nuit dans les musées, ce que les œuvres peuvent manigancer entre elles dès que les lumières s’éteignent... »

Correspondances
Dans un premier temps, le designer a choisi quelques-unes de ses propres pièces, puis a imaginé les objets qu’il souhaitait leur voir associer sous forme de descriptions, de typologies, de fonctions, voire de matériaux. Au sein des collections du musée, sa sélection s’est peu à peu affinée pour aboutir à ces douze « paires » d’objets. « Cela s’est fait sans systématisation, résume Konstantin Grcic. Au final, c’est un choix très personnel. »
Ce dernier n’a pas privilégié l’approche formelle, « trop simpliste » selon lui. Là est la réussite de l’exercice. De manière subtile, il interroge tout : la forme, la fonction, le matériau, le processus de fabrication, la logique, le signe, l’époque. La métaphore n’est jamais loin. En réalité, Grcic nous parle de lui. De son amour du dessin (un empilement de tasses et de théières et un berceau en bois courbé du XIXe siècle) ; de son attirance pour l’anonymat de l’archétype (la lampe May Day et le tabouret Berger de Charlotte Perriand) ; de la recherche de l’équilibre (la chaise One et une pendule en bronze doré datant de 1760) ; de son goût pour l’économie (la poubelle Tip et un tabouret haut de Robert Mallet-Stevens) ; de son attention aiguë pour la fonction (le tabouret Missing Object et un prie-dieu du XVIIIe siècle) ; ou pour les petites attentions (l’escabeau Step et une table de malade en acajou du XIXe siècle). Quand sa table basse Diana B. communie avec une croix en bois polychrome du XVe siècle, Grcic dit peut-être sa quête de spiritualité. Il convoque l’enfance aussi, lorsque sa drôle de table Miura joue avec l’amusant siège d’enfant à gros pois Spotty de Peter Murdoch. Les dialogues sont miroirs.
« Tu parais justement sans mystère dans ta nudité, en regard mon chapiteau tronqué est une parfaite étrangeté, la clarté de la découpe ne nous rassemble-t-elle pas au moins ? », demande un vide-poches signé Pierre Legrain. « [Ma] translucidité dit tout d’une structure où rien n’est laissé au pli, sans ourlet ni collage, à confondre contenu et contenant. L’épiderme et ce qu’il protège ne sont qu’un. La matière, contenant et contenu, à pleines mains », lui répond la bassine 2-Hands. Les textes qui défilent dans les « bulles » sont inégaux, parfois incroyablement justes, parfois un brin emphatiques ou cherchant « le bon mot » justement. Seul hic de taille : les objets ne « dialoguent » pas entre eux, mais « monologuent » plutôt côte à côte. Heureusement, leur simple présence dit tout.

« Small Talk »

Jusqu’au 27 janvier 2008, Musée des Arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, 75001 Paris, tél. 01 44 55 57 50.

Small Talk

- Commissaires de l’exposition : Konstantin Grcic et Dominique Forrest, conservatrice du département moderne et contemporain du Musée des Arts décoratifs - Scénographie : Konstantin Grcic - Nombre de pièces : 24 - Auteur des textes : Pierre Doze

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°268 du 2 novembre 2007, avec le titre suivant : Petites conversations entre objets

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