Entretien

Paul Braffort : « J’aimerais publier mon œuvre oulipienne »

Pataphysicien et oulipien

Par Sarah Belmont · Le Journal des Arts

Le 25 novembre 2014 - 852 mots

A l'occasion de l'exposition consacrée à l'OuLiPo par le BNF à la bibliothèque de l'Arsenal, le pataphysicien Paul Braffort revient sur son rôle dans le mouvement.

Quel a été votre rôle dans l’exposition que consacre la BnF à l’OuLiPo ?
Les commissaires Camille Bloomfield et Claire Lesage m’ont contacté pour que je leur prête la Bibliothèque ordonnée, une collection de 210 livres dont les titres comportent la mention d’un nombre entier, ainsi que divers documents…

Y figure la lettre du 12 mai 1961, où Jacques Bens vous annonce votre nomination en tant que membre correspondant. Pourtant, n’êtes-vous pas entré à l’OuLiPo en mars ?

En fait, j’ai été élu deux fois : la première, le 13 mars 1961, en tant que poète, atomiste et Bruxellois ; la seconde, le 5 mai suivant, en tant que poète, Belge et atomiste, mais les joyeux brigadiers, probablement un peu gris, l’avaient oublié. Pourquoi Belge ? Parce qu’à l’époque,
je travaillais au siège d’Euratom (Communauté européenne
de l’énergie atomique), à Bruxelles.

Pour devenir oulipien, il faut être coopté à l’unanimité et surtout ne jamais avoir posé sa candidature. À qui devez-vous d’avoir rejoint l’OuLiPo ?
Tant à François Le Lionnais qu’à Raymond Queneau qui ont dû se rendre compte, en échangeant les noms de membres potentiels, qu’ils me connaissaient tous deux. Je les ai rencontrés séparément. Après la Libération. J’avais l’intention de publier quelques poèmes chez Gallimard, dont le directeur Jean Paulhan, ancien résistant comme moi, a tout de suite accepté de me rencontrer. Pour me consoler de son refus, il m’a présenté Camus, Dubuffet et Queneau. J’ai proposé à ce dernier une adaptation théâtrale de son roman Gueule de pierre (1934). Puis on s’est mis à parler mathématiques, des systèmes de classification de matières… Lui-même était en train préparer l’Encyclopédie de la Pléiade. Quant à François, je l’ai contacté à son retour de Dora, en tant que responsable des « activités culturelles » de la Maison des sciences, où il a accepté de donner quelques conférences. J’étais certainement la personne la plus proche de lui, à l’OuLiPo. À la fin de sa vie, j’ai même organisé avec Michèle Métail une soirée en son honneur au Centre Georges Pompidou.

Marcel Duchamp, à qui le Centre Pompidou consacre justement une rétrospective, entre à l’OuLiPo en 1962. Que lui a valu cette élection ?
Il jouait souvent aux échecs avec Queneau et Le Lionnais. Il n’est venu qu’à une seule réunion, exceptionnellement organisée à la Frégate, un restaurant qui se trouvait près de la place Saint-Michel. C’était un homme timide et charmant. Si ses textes sont souvent très oulipiens, il n’a jamais vraiment contribué à notre bibliothèque.

L’OuLiPo érige la contrainte comme mode de création artistique. Quelle est votre préférée ?

L’homophonie. J’adore ça ! Un très bon exemple réside dans le nom même du procédé. « L’homme aux faux nids ».

L’OuLiPo se prétend un mouvement non littéraire. Cette définition par la négative présuppose-t-elle le primat des contraintes mathématiques ?
Il y a peu de contraintes strictement mathématiques dans l’œuvre oulipienne. La Princesse Hoppy de Jacques Roubaud obéit, il est vrai, au théorème de Klein, et l’énigme policière de Claude Berge dépend de la théorie des graphes. Moi-même j’ai écrit un ouvrage dont le titre, J & I : les deux combinateurs de la totalité (Plein Chant, 2002), renvoie à la logique combinatoire. J’y commente la notion de contrainte sous le nom de Walter Henry, que je me suis attribué en hommage à deux de mes physiciens préférés, Walter Ritz et Heinrich Hertz.

En tant qu’informaticien, quels ont été vos principaux apports au groupe ? L’avez-vous, par exemple, initié aux nouvelles technologies ?

J’espère bien ! J’étais le seul informaticien. Mon premier exposé à l’OuLiPo portait sur l’utilisation de l’informatique. Puis, en 1981, j’ai créé avec Jacques Roubaud, Italo Calvino et Marcel Bénabou, l’Alamo, l’Atelier de littérature assistée par la mathématique et les ordinateurs.

Inversement que vous a apporté l’OuLiPo ?
L’érudition d’un Noël Arnaud et d’un Albert-Marie Schmidt qui m’a fait découvrir les Grands Rhétoriqueurs et suggéra le mot « Ouvroir ».

Quid des jeudis, pour ne pas dire « jeux dits », de l’OuLiPo à la BnF (référence au sous-titre de l’exposition « La littérature en jeu(x) ») ? C’est là que se réunit le groupe une fois par semaine. Comment expliquez-vous cette pérennité ?

C’est un record que je ne m’explique pas. Il y a eu des tentatives de scission que je raconte dans un article intitulé « Crises d’OuLiPo » imprimé dans un numéro spécial de la BnF. Queneau m’avait appelé pour tempérer les ardeurs de Jean Lescure, Jacques Bens, Jacques Duchateau, Claude Berge. Je ne peux plus assister à toutes les réunions. J’ai toutefois participé à l’élection, en juin, de deux nouveaux membres, l’Argentin Eduardo Berti et l’Espagnol Pablo Martin Sanchez.

Des projets en cours ?

Je viens de me replonger dans l’électrodynamique stochastique, discipline que j’ai créée avec Christophe Tzara, le fils de Tristan, en 1954. Parallèlement, la société de disques Frémeaux & Associés travaille à une réédition de mon 33 tours de 1968. De mon côté, j’aimerais surtout rassembler et publier mon œuvre oulipienne.

Légende photo

Paul Braffort. © Sysmo records.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°424 du 28 novembre 2014, avec le titre suivant : Paul Braffort : « J’aimerais publier mon œuvre oulipienne »

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