Paroles d'artistes - Guy Maddin

« J’ai pensé mythologiser Winnipeg »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 5 juillet 2011 - 719 mots

Originaire de Winnipeg, au Canada, l’inclassable cinéaste Guy Maddin est à l’affiche de l’exposition « My Winnipeg », qui propose, à la Maison rouge, à Paris, une excitante excursion dans les arcanes créatifs de cette cité peu commune.

Frédéric Bonnet : Votre installation Hauntings (2010) rassemble onze écrans où sont projetés des films disparus que vous avez recréés. Comment est né ce projet ?
Guy Maddin : Cela me hantait littéralement de travailler à partir de mes réalisateurs favoris, lorsque j’ai découvert que ces films étaient perdus sans que je n’aie pu les voir. Je pouvais seulement lire des comptes rendus publiés dans d’anciennes revues de cinéma ou retrouver de minces synopsis. J’ai donc commencé à penser à ces films qu’il faudrait déterrer, à l’exemple de La Passion de Jeanne d’Arc de Dreyer dont on a retrouvé un original entier dans un hôpital psychiatrique à Oslo en 1981. Ces films me hantaient ; je voulais les voir, mais aussi, ils étaient eux-mêmes « malheureux » par le fait qu’il était impossible d’organiser une séance de projection ! J’ai pensé que je devais les invoquer. J’ai donc finalement tourné moi-même ces pellicules de Murnau, Fritz Lang, Mizoguchi…, pensant que c’était la seule manière de les voir.

F.B. : Vos films dégagent toujours une atmosphère surréalisante. Souhaitez-vous constamment demeurer hors de la vie réelle ?
G.M. : Il y a différentes manières de montrer la condition humaine. Certains cinéastes sont naturalistes et travaillent dans des lieux naturels avec une lumière naturelle pour des films qui semblent réalistes. Pour moi le mot « réaliste » ne signifie rien ; les vrais événements psychologiques sont plus intéressants que des surfaces paraissant vraies. S’il était si important de percevoir la surface de ce que nous croyons vrai, nous regarderions avec plaisir des caméras de sécurité qui donnent à voir ce qui se passe en temps réel. Nous souhaitons du réalisme, mais un réalisme qui présente une plausibilité psychologique, ou une échappatoire qui sonne encore poétiquement ou psychologiquement vrai. Ma meilleure chance de continuer à faire des films est de travailler avec des « morceaux » de mélodrames, d’activités paranormales, d’accomplissement du désir ; de montrer des envies, de la solitude, de l’autodérision, de l’apitoiement sur soi-même, du masochisme, etc.

F.B. : Votre film My Winnipeg (2007), qui résonne comme un portrait héroïque de la ville et donne son titre à l’exposition, est diffusé ici. La cité elle-même a-t-elle eu une influence directe sur votre travail ?
G.M. : J’ai peu voyagé jusqu’à mes premiers films. Je suis venu en Europe à l’âge de 32 ans, et c’est là que j’ai commencé à relever des différences entre Winnipeg et les autres villes. Winnipeg n’est pas si grande que cela, pas tellement riche, extrêmement isolée, alors que, dans les autres villes, les artistes ont énormément de choses à faire. Il y a toujours un vernissage, un film, un musée, un concert à aller voir, c’est pourquoi il est toujours aisé de parler de ce que vous faites. Mais à Winnipeg, les cafés sont fermés pendant huit mois de l’année. Vous êtes juste enfermé, et finalement c’est le fait d’être paresseux chez vous qui vous conduit à faire quelque chose ; cela peut être aussi simple que cela.
Mais cette cité a une scène artistique exceptionnellement riche car son contexte sociopolitique y est intéressant. C’est une ville communiste de longue date, où l’immigration fut importante au début du XXe siècle ; les enfants de ces immigrés, riches ou pauvres, sont politiquement radicaux et idéalistes. Ils ont en outre le sentiment que tous appartiennent au même endroit. Je suis né en 1956, [quelques jours avant que] ma famille achete son premier poste de télévision. J’ai commencé à regarder les États-Unis diffusés à travers la frontière. Ni la télé ni les nouvelles ne reflètent la réalité, mais une somme mythologisée de la vérité. J’ai réalisé My Winnipeg car chaque culture dans le monde se mythologise elle-même, et j’ai pensé le faire pour cette ville. Il y a là de vraies histoires, et d’autres dont je ne peux pas me rappeler si elles le sont ou pas.

My Winnipeg

Jusqu’au 25 septembre, La Maison rouge, 10, bd de la Bastille, 75012 Paris, tél. 01 40 01 08 81,
 www.lamaisonrouge.org, tlj sauf lundi-mardi 11h-19h, jeudi 11h-21h. Catalogue, coéd. La Maison rouge/Fage Éditions, 248 p., ISBN 978-2-84975-229-6, 25 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°351 du 8 juillet 2011, avec le titre suivant : Paroles d'artistes - Guy Maddin

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque