Paroles d'artiste - Yang Jiechang

« L’art est une manière d’agir »

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 23 mai 2011 - 814 mots

Depuis sa venue en 1989 à l’invitation de Jean-Hubert Martin pour « Magiciens de la Terre » et son installation à Paris, Yang Jiechang (né en 1956 en Chine) a acquis une liberté formelle et une puissance expressive. Avant d’être montré à l’automne à la Galerie Jeanne-Bucher, à Paris, il sera exposé lors de la Biennale de Venise au Palazzo Grassi. À Rennes, à La Criée, il propose sous le titre « Stranger than Paradise » une exposition puissamment habitée, d’une densité existentielle remarquable. 

Christophe Domino : Dans quel état d’esprit avez-vous quitté la Chine ?
Yang Jiechang : Partir, cela fait partie de ma culture. Je viens d’une région particulière du sud de la Chine, très pauvre, d’un peuple de nomades. J’ai su très tôt que je devrai partir et faire de l’art. J’ai quitté ma ville natale pour étudier l’art à Canton, puis je suis venu en Allemagne pour finalement m’installer à Paris. Après Tienanmen, comme mon ami [l’artiste] Huang Young Ping, nous avons décidé d’attendre pour voir ce qui allait se passer. Et nous attendons toujours, plus de vingt ans après. À Paris, c’est là où je suis le mieux pour vivre et pour travailler, mais si je dois repartir, je repartirai. Car je suis d’abord un sans-papiers, comme tous les artistes. Je n’aime pas les pavillons, français, chinois, allemand. Les artistes n’ont pas besoin de pavillon. Balzac, Duchamp n’appartiennent pas à la France, pas plus que Goethe à l’Allemagne. Et être connu, cela n’a aucune importance. Je fais ce que j’ai à faire. Mon travail paraît peut-être lent, mais je n’envie en rien ceux qui travaillent en fonction de leur reconnaissance, les Jeff Koons, les Damien Hirst. Ma liberté est bien plus précieuse que leur gloire !  

C.D. : Dans « Magiciens de la Terre », puis à la galerie Jeanne-Bucher, étaient présentées vos peintures noires, vos encres presque monochromes. Comment regardez-vous ces travaux aujourd’hui ?
Y.J. : Mon art aujourd’hui est bien meilleur qu’il y a vingt ans, et je continue à apprendre. Ma place chez Jeanne-Bucher, qui est plutôt une galerie d’art moderne, est un peu bizarre, décalée. Mais j’ai une relation presque familiale avec la galerie, avec beaucoup de discussions. Véronique Jaeger soutient mon travail, comme lors de la production de la pièce pour l’exposition de Rennes. La confiance, c’est très précieux, et rare, cela permet de se concentrer sur ce qui est important, le travail. Quant aux contraintes, elles poussent à travailler, celles de la vie quotidienne y compris. C’est une chose essentielle, qui appartient à la tradition chinoise : l’art et la vie, c’est la même chose, une seule chose. C’est aussi une tradition personnelle, familiale.  En quittant la Chine, j’ai pu me concentrer en Allemagne ou en France sur cette façon de voir les choses. Ce serait bien plus difficile en Chine aujourd’hui, où l’art, très instrumentalisé dans la société, doit aller vite. Je ne vis pas pour l’art, mais l’art est un aspect de la vie. C’est une manière de se conduire, d’agir, pas une chose en soi. Une manière de régler les relations aux autres, de simplifier les rapports. De se passer des cérémonies, des rituels, des jeux d’apparence qui sont souvent présents dans les traditions chinoises. Dans ce sens, oui, faire de l’art, c’est une décision : mon père a voulu que je sois artiste, manière d’échapper à notre condition, et l’art plus que la littérature permet cela, parce que les faits de la vie ordinaire y sont directement présents. Mais bien sûr, il ne s’agit pas de ce que l’on apprend dans les écoles d’art chinoises. Le réalisme socialiste est bien plus factice que les pratiques traditionnelles apprises chez mon maître en calligraphie, par exemple. Cette manière d’envisager l’art en fait une pratique lente, ce n’est pas la voie du succès rapide et de la reconnaissance immédiate !  

C.D. : Comment l’exposition de La Criée se situe-t-elle dans votre itinéraire ?
Y.J. : C’est ma meilleure exposition ! J’ai été très heureux de pouvoir travailler en Chine après avoir réuni des artisans et leur savoir-faire : c’est un prodige que nous avons fait là, en si peu de temps, à peine deux semaines pour produire les deux cents céramiques. C’est toute une communauté qui a travaillé pour moi dans ma ville natale, Foshan. L’exposition parle d’amour, au travers de tous ces animaux d’espèces différentes qui font l’amour. Les sculptures en céramique sur une forêt de socles occupent l’espace de La Criée, qui est plongée dans la pénombre. Une vidéo où je frappe du front un gong qui retentit donne un rythme à l’espace. Les médias contemporains sont de terribles machines de pouvoir, normatives, autoritaires. Je réponds à cela en célébrant l’amour et la liberté, en ravivant l’imaginaire du mariage de l’homme avec l’animal, si présent dans le temps long du mythe et de la fable, en Orient comme en Occident.  

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°348 du 27 mai 2011, avec le titre suivant : Paroles d'artiste - Yang Jiechang

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