Paroles d'artiste - Ulla Von Brandenburg

« Mes tableaux vivants sont des descriptions d’état »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 16 novembre 2010 - 780 mots

À la galerie Art : Concept, à Paris, Ulla von Brandenburg (née en 1947 à Karlsruhe, en Allemagne) livre un film choral parfaitement léché et maîtrisé (Chorspiel, 2010), qui, à l’instar des autres œuvres rassemblées, décrit un univers où se mêlent sans frontière affirmée réel et onirisme.

Votre exposition est centrée autour d’un film issu d’une performance. Quelles ont été les conditions de sa réalisation ?
J’ai été invitée au Lilith Performance Studio, à Malmö [Suède], pour faire une performance. Il s’agissait d’une résidence, et j’ai voulu y réaliser un grand projet où les acteurs chantent avec la voix d’un chœur. Je voulais également en écrire la musique. 

Êtes-vous musicienne ?
Je joue du piano, mais je n’ai pas de formation de musicienne. Je suis cependant très influencée et intéressée par la musique. J’ai toujours fait des tableaux vivants, qui sont comme des descriptions d’états. Là j’ai écrit une petite histoire, qui est transposée dans le film. Il s’agit d’une situation de famille dans laquelle s’insère un promeneur étranger venu de l’extérieur avec une boîte, et qui se met à raconter une histoire ; cette personne change la structure de la famille. Je souhaitais utiliser le chœur comme dans le théâtre grec ancien, afin qu’il fasse écho à ce qui se passe, assure un commentaire, se fasse la voix extérieure de la scène – sa conscience en quelque sorte. 

Le film et la performance sont-ils formellement similaires ? Pourquoi les avoir liés ?
Il a toujours été clair dans mon esprit que c’est un tel travail que d’écrire la musique, diriger les acteurs, etc., que je voulais en faire un film, d’autant que tout ce que je fais rentre plus ou moins dans un film. Par exemple, la forêt encadrant l’action est le paysage vu par le promeneur avant son arrivée ; dans la performance, j’ai installé une grande toile avec des parties peintes qui entourait tout l’espace, c’est-à-dire le public et la scène. Pour le film, je voulais remplacer ce faux paysage par un vrai. J’ai donc mis du sable au sol pour délimiter un carré dans lequel se tient l’action, comme dans la performance. Et j’ai eu la grande chance de bénéficier d’un formidable cameraman, celui du réalisateur Lars von Trier. Je ne suis pas capable de faire comme lui ce mouvement à 360° qui donne cet aspect dramatique. L’intéressant ici est que plus la caméra bouge, plus cela devient émotionnel. 

Vos films adoptent toujours une esthétique théâtrale, avec une mise en scène très appuyée, dans les déplacements notamment, ce qui donne un caractère d’artificialité…
 
Il est vrai que l’artificialité m’intéresse beaucoup, mais l’absurdité également. Un chœur qui chante les voix des acteurs est véritablement impossible et, dans un sens, perturbe les perceptions de la scène ; cela amène évidemment de l’artificialité. De plus, je ne m’intéresse pas aux caractères, je ne cherche pas à ce que les acteurs s’expriment. Le texte est très abstrait et poétique, car je ne veux pas raconter une histoire. Chaque personne figure ici comme un exemple pour sa génération, et le texte porte principalement sur le temps qui passe ; le refrain scande : « On est là, on ne sait pas pourquoi, on ne sait pas combien de temps, on ne décide pas de quand ça va finir. » Le couple chante la beauté, et la vieille femme parle du temps. Les personnages n’ont pas de nom, la vieille femme représente toutes les vieilles femmes.

Cette problématique du temps donne-t-elle une esthétique particulière ? On ne parvient pas à dater ce film…
C’est mon but en effet. Les détails trop marqués donnent trop d’indications à lire. Filmer en noir et blanc permet de réduire les informations. Car si je vous filmais vous, avec le bleu que vous portez, on pourrait savoir de quelle époque il s’agit, ce serait trop parlant. Mon but est plutôt de créer certains archétypes qui soient valables aujourd’hui, mais aussi hier et demain. 

Les œuvres tels ces grands rideaux déteints accompagnés d’objets (Angel ; Mephisto, 2010) ont-elles à voir avec l’« accessoirisation » ou le décor ?
Ces rideaux ont été exposés très longtemps au soleil, on les voit comme une photographie déteinte où apparaît le pliage. Le cercle et les bâtons sont des cannes à pêche. Comme le film, ce sont pour moi des propositions ouvertes. Je les vois comme des portes avec des objets à l’intérieur, et les objets sont toujours des accroches ; ce sont comme des accessoires de théâtre pour s’accrocher quelque part.

ULLA VON BRANDENBURG. NEUE ALTE WELT,

jusqu’au 23 décembre, galerie Art : Concept, 13, rue des Arquebusiers, 75003 Paris, tél. 01 53 60 90 30, tlj sauf dimanche-lundi 11h-19h, www.galerieartconcept.com

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°335 du 19 novembre 2010, avec le titre suivant : Paroles d'artiste - Ulla Von Brandenburg

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