Art contemporain

Paroles d'artiste - Bertille Bak

« La fiction me sert toujours à mieux pointer la vérité »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 16 octobre 2012 - 762 mots

Au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Bertille Bak (née en 1983) expose deux installations faites de films et d’objets portant sur l’idée de communauté.

Frédéric Bonnet : Votre vidéo Ô quatrième ! (2012) a pour cadre une communauté de religieuses, tandis que celle intitulée Transports à dos d’hommes (2012) s’intéresse à un groupe tsigane. Comment les avez-vous liées pour composer votre exposition ?
Bertille Bak : La vidéo Ô quatrième ! a été réalisée dans le couvent attenant à la chapelle Notre-Dame-de-la-Médaille-miraculeuse, à Paris. J’ai découvert que les sœurs de la maison mère des Filles de la Charité, qui ont accompli leur mission et sont en fin de vie, se retrouvent dans ce lieu. Une anecdote m’a conduite à ce projet : le bâtiment est organisé de telle sorte que plus les sœurs vieillissent, plus elles montent, jusqu’à arriver au quatrième étage, le dernier palier avant l’ascension finale. J’ai donc rencontré pendant six mois Sœur Marie-Agnès Marret, car j’ai toujours eu envie de comprendre comment fonctionne un groupe sur un territoire donné, comment s’organise ce monde et quelles sont les spécificités de chaque personne dans une communauté. Pour cette exposition, j’avais envie de présenter précisément ces deux projets, car ces deux communautés parisiennes sont sur le départ. Mais ce qui m’intéressait avant tout, c’était d’utiliser les souterrains et le ciel, de partir de cette ligne verticale imaginaire.

F.B. : Transports à dos d’hommes s’intéresse aux musiciens tsiganes du métro. Dans vos deux œuvres, vous mêlez un film et des objets qui s’y rapportent. Ces derniers constituent-ils une extension du film ?
B.B. : Le film et les objets forment un projet global, même si chacun peut être indépendant. Il s’agit souvent de l’archivage d’objets ou de sons qui apportent de nouvelles informations et permettent une meilleure compréhension du film. Pour Transports à dos d’hommes, j’ai imaginé les objets avant le film, car en prenant le métro je me suis rendu compte que les notes des musiciens étaient recouvertes par le son environnant, le brouhaha des souterrains. Cela m’a donc intéressée d’archiver les sonorités de toutes les lignes de métro de cinq capitales pour savoir quelles notes elles engloutissaient. J’ai commencé à élaborer ces « Pili » (plans indicateurs lumineux d’itinéraire) que vous voyez dans l’exposition et qui, outre qu’ils servent à faire le trajet en lumière, sont sonores et retranscrivent le son du métro. Puis j’ai rencontré un accordéoniste rom qui m’a emmené sur le camp d’Ivry-sur-Seine où a commencé le projet avec la communauté tsigane.

F.B. : Le film a un aspect documentaire mais est surtout une fiction. S’agit-il d’un mélange des deux ?
B.B. : C’est un mélange, même s’il y a beaucoup de fiction dans celui-là. Selon moi, la fiction sert toujours à mieux pointer la vérité. Après une longue phase d’observation et d’immersion où j’essaye de voir ce qui m’interpelle dans le groupe, je concentre le film sur quelques éléments qui me paraissent importants. À côté de cette histoire de souterrains parisiens et de métro qui engloutit les notes, le film montre un camp très bruyant, à cause de la route mais aussi des hélicoptères qui passent quotidiennement pour compter le nombre de Roms et voir s’il n’y a pas de nouvelles installations.

F.B. : Dans le film, les protagonistes reconstituent un wagon de métro dans une caravane. S’agit-il d’une vision ironique de leur quotidien par ces musiciens ?
B.B. : Tout est parti des Pili, qui sont ici une manière de trouver une solution afin de contrer tout ce qui étouffe leur parole et leur musique, soit leur travail au quotidien. Ces enregistrements sonores servent lors des répétitions et pour l’adaptation des amplificateurs, car lorsque le métro est trop sonore ils prennent la place du musicien et remplacent les notes englouties. Chaque saynète du film repose sur une envie de contrer la situation. C’est plus poétique qu’engagé.

F.B. : N’apportez-vous pas un commentaire politique ?
B.B. : Bien sûr que si, mais je ne veux pas faire un travail le poing levé. Évidemment que la politique apparaît en filigrane tout le long du film, mais ce qui est mis en avant, c’est vraiment la communauté et ce qu’elle arrive à garder malgré la situation déplorable. Mais la fin du film parle d’expulsion imminente, c’est la situation des Roms telle qu’on la connaît habituellement.

BERTILLE BAK. CIRCUITS

Jusqu’au 16 décembre, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, av. du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, www.mam.paris.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi 10h-22h. Catalogue, éd. Paris Musées, 64 p., 19 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°377 du 19 octobre 2012, avec le titre suivant : Paroles d'artiste - Bertille Bak

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