Ensba

Multiplicité d’une époque

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 31 octobre 2011 - 670 mots

« 2001-2011 : soudain, déjà » met en lien l’actualité et les artistes diplômés des Beaux-arts de Paris.

PARIS - Le dispositif, tout comme l’idée, sont inhabituels. Convié à sélectionner ce que l’École nationale supérieure des beaux-arts (Ensba) de Paris a vu passer de meilleur dans ses rangs au cours de la décennie écoulée (une sélection de 29 artistes parmi les 1 086 diplômés !), le commissaire invité, Guillaume Désanges, a choisi de tracer un parallèle entre les œuvres des artistes retenus et l’actualité de la même période.

Voulue par Henry-Claude Cousseau afin de dresser un bilan de son action à la tête de l’institution, à quelques encablures d’un passage de relais au futur directeur, la proposition est ambitieuse et ne manque pas d’intérêt. En premier lieu parce que l’histoire immédiate examinée dans « 2001-2011 : soudain, déjà » est marquée par l’entrée dans une nouvelle ère : le XXIe siècle est d’emblée frappé dans ses fondements symboliques par des attentats terroristes d’une ampleur inégalée. Mais cette décennie est aussi celle où symptômes et images d’une mondialisation en marche – dont beaucoup s’échinent à ne retenir que les aspects négatifs –, ont envahi l’univers visuel de l’Occident.

Artistes et actualité
D’un point de vue matériel, cette mise en parallèle de l’art et de l’information s’opère grâce à une ligne chronologique constituée de reproductions d’articles et de « Unes » issues du quotidien Le Monde, des hebdomadaires Courrier international et Paris-Match, qui court sur toutes les cimaises et environne les œuvres. Passé le 11-Septembre « fondateur » de la décennie, on navigue donc du passage à l’euro au tsunami en Thaïlande (2004) ou à l’élection de Nicolas Sarkozy, en passant par le conflit israélo-palestinien ou la guerre des consoles de jeu… En regard de leur temps mais sans suivre le même rythme chronologique, les artistes adoptent, et c’est heureux, des postures diverses, discourant sur la précarité, la mondialisation, l’hybridation, la menace, la faillite des certitudes… Quand Clément Rodzielski rend la réalité photographique abstraite à force de découpages, collages et photocopies, Chloé Quenum s’insère dans une abstraction poétique et fragile qui confine à l’évasion (Déjà - raconté, 2010). Alors que Baptiste Debombourg édifie un monument en bois bancal qui semble avoir entamé un processus d’effondrement (Inception I, 2010), Natalia Villanueva aligne des briquettes qui se délitent (If we don’t create… we die, 2009). Plus loin, un film de Laurent Grasso montre un inquiétant nuage qui avance à vive allure dans les rues de Paris (Projection, 2005).
Très finement, Thu Van Tran aborde, avec des poutres gravées sur lesquelles une greffe de graine d’hévéa n’a pas pris, une résistance à la standardisation (Une graine mi-colon mi-bon, ramifications pour une greffe d’hévéa, 2009). Et Sophie Dubosc d’enfermer une ampoule électrique incandescente dans un parfait bloc de béton, comme si la rigueur minimaliste, à rebours de tous ses dogmes, s’animait soudain de sentiments (Couvre-feu, 2004).

L’écueil, qui guette nombre de spectateurs, reviendrait à scruter l’histoire récente à l’aune de la création qui lui est contemporaine, ou à tenter de lire l’art de la décennie écoulée en complément des événements qui lui furent concomitants. Car vite balayée en ces termes, la proposition manquerait singulièrement de relief et d’intérêt. Nullement chronique d’une époque ni portrait d’une génération ou d’un état d’esprit qui serait commun, cette exposition est à prendre pour ce qu’elle est : une spéculation. C’est en cela que le rapprochement entre artistes et actualité est pertinent : lorsqu’il tente, grâce à une mise en relation ouverte, de saisir un air du temps tout en tirant les fils d’une multiplicité de sensibilités comme d’une diversité de points de vue, simplement mis en perspective avec la réalité du monde qui les abrite, qui les nourrit.

2001-2011 : SOUDAIN, DÉJÀ

Jusqu’au 8 janvier 2012, École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, 13, quai Malaquais, 75006 Paris, tél. 01 47 03 50 00, www.beauxartsparis.fr, tlj sauf lundi 13h-19h. Catalogue, éd. Beaux-Arts de Paris, 316 p., 35 €, ISBN 978-2-8405-6354-9

Commissariat : Guillaume Désanges
Nombre d’artistes : 29
Nombre d’œuvres : 76

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°356 du 4 novembre 2011, avec le titre suivant : Multiplicité d’une époque

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