Photographie

Moscou contrastée

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2008 - 642 mots

La « Photobiennale 2008 » impose dans la capitale russe un équilibre entre images documentaires et recherches plasticiennes, et fait la part belle à la couleur.

MOSCOU - La « Photobiennale 2008 » de Moscou présente cette année pas moins de quatre-vingt-trois expositions engageant plus d’une centaine d’artistes. Placée sous la houlette de la très énergique directrice de la Maison de la photographie de Moscou, Olga Sviblova (lire ci-dessous), la manifestation dispersée dans de multiples lieux offre un parcours contrasté susceptible de satisfaire des publics variés.
Ainsi, l’hommage rendu à l’agence Magnum, sise dans le nouveau complexe d’art contemporain Vinzavod, qui regroupe des galeries émergentes fréquentées par un public jeune, donne à voir, entre autres, de magnifiques images de la série Rivages de Harry Gruyaert, mais aussi le projet tout en finesse de Lise Sarfati sur l’adolescence (The New Life, 2003). Cette célébration de l’agence photo fait également la part belle au travail d’Alex Webb. Dans un accrochage traversant sa carrière, explosent ses talents de coloriste mis au service de la représentation d’un monde caribéen et latino-américain. Cette thématique de la couleur — et de l’ombre, son corollaire — traverse la biennale de part en part.
Si celle-ci peut paraître un peu convenue, elle trouve une justification dans le fait que la Maison de la photographie de Moscou a initié, il y a douze ans, une collection de photographies russes sur les débuts de la couleur. En atteste l’exposition intitulée « Primevère », dans la salle du Manège, avec un passionnant parcours où se mêlent tant des images rehaussées de pigments de personnages traditionnels des années 1880/1890, que des tirages couleurs des années 1960-1970. Parmi ceux-ci figurent les vues urbaines ou les personnages du régime soviétique de Dmitri Baltermants.

Monographies
D’un lieu à l’autre, entre couleur et noir et blanc, des présentations monographiques entretiennent un discours soutenu, depuis les beaux « Tableaux chinois » (2007) d’Yves Gellie, tout en textures, jusqu’aux arrangements graphiques de Mario Giacomelli (1953-1990). Des images de Boris Savelev (1980-1990) puisent dans un quotidien de la rue, jamais retouché ni réorganisé, la force de la construction et la subtilité des nuances. D’époustouflants portraits (de 1949 à 1952) du Portugais Fernando Lemos, découpés par la lumière, frisent le surréalisme.
Le sujet provoque toutefois quelques dérives. À l’instar des clichés pompeux de Xavier Zimbardo, « sobrement » intitulés Le Sacre des couleurs (2007), dont le maniérisme exacerbé et hors d’âge tente une pénible retranscription de la fête de Holi, dans l’État de l’Uttar Pradesh (Inde).
Les accrochages à visée documentaire réservent des découvertes souvent captivantes. Deux émergent de l’ensemble, dont la remarquable exposition « Au bain », à la Galerie Na Solianke, consacrée aux ablutions. Avec plus de deux cent cinquante images, elle documente le bain, ses modes et ses usages, ses bâtiments et ustensiles, de la fin du XIXe siècle à nos jours. À travers la tradition du bain collectif, elle revient sur les modes de représentation du corps et de son insertion dans la sphère sociale, à des époques marquées par la difficulté d’avoir un corps privé, lorsqu’est exalté le corps collectif.
À la Galerie des Arts de Zourab Tsereteli, c’est la série Regard par la fenêtre de l’auto de Evgueni Chtcheglov qui interpelle. Au cours des années 1950, l’artiste a transgressé l’interdit photographique en prenant des images de la rue, à Moscou, depuis l’intérieur d’une voiture. Ses petits formats noir et blanc sont riches d’enseignements et permettent la découverte de la ville hors des clichés officiels. Plus loin, des archives de la revue Ogoniok, parangon du journalisme stalinien, exaltent l’héroïsme des travailleurs dans une série de tirages couleurs des années 1951-1955, rares à l’époque. C’était dire l’importance du message à faire passer.

PHOTOBIENNALE 2008

Dates et lieux divers. Informations : Maison de la Photographie de Moscou, 14 Sushchevskaya str., Moscou, tél. 7 495 231 33 25, www.mdf.ru. Catalogue à paraître.

PHOTOBIENNALE 2008

- Commissariat général : Olga Sviblova, directrice de la Maison de la photographie de Moscou
- Nombre d’expositions : 83
- Nombre de lieux : 27

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°280 du 25 avril 2008, avec le titre suivant : Moscou contrastée

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