Paroles d’artiste

Miltos Manetas

« Nous devons créer une esthétique imprévisible »

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 19 mars 2004 - 775 mots

Artiste grec résidant aux États-Unis, Mitos Manetas, né en 1964, s’intéresse aux nouvelles technologies et aux réseaux qu’elles servent à constituer. À l’occasion de ses expositions à la Galerie Cosmic et chez Outcasts Incorporated, à Paris, Miltos Manetas répond à nos questions.

Pouvez-vous définir cette notion de « Neen », présente dans votre travail ?
Neen est un concept. En grec, cela signifie « maintenant » et pas une seconde plus tard. Mais le mot en lui-même a été conçu grâce à un programme informatique de l’entreprise Lexicon, spécialisée dans l’achat et la vente de noms de marques. Je l’ai acheté en 2000 pour 100 000 dollars (103 767 euros de l’époque). Puis je l’ai présenté à la galerie Gagosian à New York. Ce n’était alors qu’une boîte vide… Immédiatement après, grâce aux idées de Mai Ueda, Andreas Angelidakis, Rafael Rozendaal, Angelo Plessas, Nikolas Tosic et de bien d’autres, c’est devenu une réalité. Neen parle de ces sublimes sensations que nous expérimentons de temps à autre dans nos nouveaux modes de vie. Les machines intelligentes (ordinateurs) ont une large part de responsabilité là-dedans. Les sensations surprenantes sont rares, mais quand elles arrivent, on les reconnaît et on les appelle « Neen ». Nous devons créer une esthétique imprévisible et c’est la raison pour laquelle l’Art Neen ne ressemble à rien de connu auparavant. Neen peut devenir de l’art dans un second temps mais pour le moment, il est pur. C’est un message étrange. Neen est aussi un mouvement d’art similaire à Dada : un groupe de personnalités internationales qui pensent que leur travail ou leur personne est « Neen ». En fait, vous n’avez même pas à revendiquer un « travail » quelconque pour être ce qu’on appelle une « Neen Star » : il faut juste avoir les traits de caractère qui font qu’on a l’air d’en être une.

Quel genre de « Bureau Idéal » Neen a-t-il conçu dans l’espace d’exposition Outcasts ?
Il s’agit d’une cellule de propagande. C’est la démonstration des différentes idées Neen : la « Fourtyfour Theory » (www.fourfortyfour.com), l’« Eminem Theory » (www.eminemtheory.com), le « Stupid Forum » (www.stupidForum.com). Avec le miroir « iamgonnacopy » (www.iamgonnacopy.com), les gens peuvent voter pour ou contre la propriété intellectuelle. Neen est vraiment contre les droits d’auteur.

Dans votre exposition à la Cosmic Galerie, vous présentez les portraits de quelques-unes des femmes de votre vie. Quel est le lien avec votre travail habituel autour des connexions, du réseau, de l’informatique ?
En fait, j’ai découvert avec cette exposition que j’étais réellement schizophrène : ces quatre femmes ont été peintes dans un style différent, comme si c’était le travail de quatre peintres distincts. J’ai produit cette exposition comme un metteur en scène orchestrant un film pour Hollywood, en y infiltrant tous les clichés possibles, en le surchargeant de beauté pour en faire un spectacle. Ce n’est pas un « Neen Show », à part la pièce avec les Câbles et les Serpents, lesquels font le lien entre les portraits et mon travail habituel. Dans la vie, certaines choses sont des câbles (morts mais véhiculant des idées, communiquant), et d’autres des serpents (en vie mais mortels). La pièce s’appelle Chinese Girl à cause de l’une des filles, Yi Zhou, qui a censuré l’exposition pour me punir et aussi pour prendre une revanche sur la galerie qui a refusé de lui offrir une exposition. Comme elle est très riche, elle a engagé l’avocat le plus cher de Paris. C’est une « Neen Devil » (Neen démon). Maintenant, son avocat censure les portraits que j’ai faits d’elle pour mon exposition ! J’ai décidé de ne pas utiliser son nom et elle est devenue « #3 ». Le dessin mural à l’entrée est une charte dessinée par Angelo Plessas : chaque fille y est évaluée selon différents critères. Elles ont toutes un nom sauf elle, elle est « #3 ». Je suis vraiment curieux de savoir si elle va continuer à être une bonne artiste ou devenir juste une jolie fille qui a perdu son nom...

Pourquoi représenter le high-tech avec les simples moyens de la peinture ?
Habituellement, j’ai pour la presse une réponse toute prête à cette question, mais aujourd’hui, j’ai envie de dire la vérité : je n’en sais rien. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je le fais. Désolé...

- « Ideal Office #4 » (avec Angelo Plessas), Outcasts Incorporated, 9, rue Pierre-Dupont 75010 Paris, tél. 01 42 05 93 75, lundi-vendredi 10h-13h et 15h-18h. Jusqu’au 23 avril. - « Memoirs of the Devil », Cosmic Galerie, 76, rue de Turenne, 75003 Paris, tél. 01 42 71 72 73, mardi-samedi 14h-19h. Jusqu’au 24 mars.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°189 du 19 mars 2004, avec le titre suivant : Miltos Manetas

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