Décollage

Millénarisme flamboyant

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 22 septembre 2006 - 778 mots

Avec « Cinq milliards d’années », Marc-Olivier Wahler lance son premier cycle d’expositions au Palais de Tokyo, où se tutoient culture populaire et art conceptuel.

 PARIS - Crissements de pneus diaboliques, dérapages contrôlés, roues arrière synchronisées, moteurs en alerte et bris de verre…, le Suisse Marc-Olivier Wahler démarre en trombe son premier cycle d’expositions au Palais de Tokyo, à Paris. Et cela fait du bruit ! Une course de mini-motos et un concours international de sculptures à la tronçonneuse étaient en effet au programme le jour du vernissage. D’authentiques bûcherons ont confronté leurs œuvres à un jury composé d’experts artistiques. Récompense à la clé : une semaine d’exposition au Palais pour l’œuvre primée. D’autres surprises y attendent les visiteurs chaque jeudi, comme une soirée consacrée aux zombies, une autre à l’extrême, ou encore une conférence sur le yodel orchestrée par un musicothérapeuthe…
Mais qu’on ne s’y trompe pas, si « Cinq milliards d’années » fait monter l’adrénaline, il ne donne pas pour autant dans le gadget. À deux pas de la tour Eiffel, motards, bûcherons, artistes, scientifiques qui conjuguent leurs talents et ouvrent l’esprit participent d’un même plaisir esthétique.

Pièces intempestives
À travers deux expositions collectives, deux expositions personnelles et trois modules, le nouveau directeur du Palais de Tokyo propose à son public une énergique révolution spatio-temporelle. Les Suisses sont réputés obsédés par le temps… et c’est une étrange horloge à vingt chiffres qui accueille le visiteur. Au-dessus de nos têtes, à l’entrée du Palais, le temps est décompté et égrène les cinq milliards d’années qui nous séparent de l’explosion du Soleil. Gianni Motti, l’auteur de Big Crunch Clock, semble avoir été l’inspirateur de ce cycle d’expositions. Mais si la fin du monde est programmée, il est encore temps d’en profiter !
Le visiteur ne tarde pas à être absorbé dans la première salle d’exposition par l’installation du duo Lang/Baumann, laquelle, comme deux rouleaux compresseurs tapissés d’ampoules, l’entraînent de l’autre côté avec rigueur et sobriété. Une créature proliférante, signée Michel Blazy, ouvre la voie à un monde curieusement circulaire où les historiques Rotoreliefs de Duchamp hypnotisent avec la même intensité que le Light Space Modulator de Philippe Decrauzat ; ou encore que le film en travelling avant de Gianni Motti dans lequel ce dernier marche sans fin dans un tunnel d’accélérateur de particules. Comme en écho, l’installation en acier de Vincent Lamouroux serpente en hauteur. Ce « rail pour un véhicule en cours d’imagination », selon la description de son auteur, traverse et relie par là même tous les espaces.
Volontairement frustrante, l’exposition intitulée « Une seconde une année » présente des pièces aussi détonantes qu’intempestives dans leur fonctionnement. L’éclairage de cette salle dépend de la mise à mort d’une simple mouche, un mécanisme imaginé par Fernando Ortega. Passera-t-on au moment opportun ? L’ampoule d’Alighiero e Boetti ne s’allume qu’une fois par an et une valise de Roman Signer promet d’exploser pendant la durée de l’exposition.
Vitesse, mouvement et énergie tellurique font partie intégrante du projet. Au-delà de la course inaugurale, la passion de Marc-Olivier Wahler pour les deux-roues se lit ici partout. Fabien Giraud met en scène trois mini-motos programmées par intelligence artificielle pour effectuer un ballet. Avec Jonathan Monk, deux roues de vélo tournent étrangement dans des sens opposés. Les scooters renversés de Mark Handforth nous font voir trente-six chandelles et, au fil du temps, se couvrent de cire colorée. Surtout, dans l’un des modules, on découvre le vertigineux film de l’énigmatique Ghost Rider : ce motard suédois s’élance à 300 km/h sur le périphérique parisien, des caméras vissées sur son diabolique engin fendant l’air, et boucle l’anneau dans le temps record de neuf minutes cinquante-sept secondes !
Plus serein, Zilvinas Kempinas propose une installation sensible avec pour seuls matériaux une bande magnétique et quelques ventilateurs. Sous leur apparente douceur, les poétiques cartes du ciel de Renaud Auguste-Dormeuil ont été capturées la veille de bombardements sanglants de villes telles que Guernica en 1937, Hiroshima en 1945 ou encore Bagdad en 1991. L’artiste nous ramène, mine de rien, à la réalité. Une réalité qui flirte avec l’idée de fin du monde sans jamais y succomber. Ces tensions font apprécier le présent et rappellent que l’histoire est cyclique, le monde n’étant qu’un éternel recommencement. Bref, avec « Cinq milliards d’années », Marc-Olivier Wahler fait un premier tour de piste aussi convaincant que prometteur.

- Expositions collectives : 5 milliards d’années, Une seconde une année, jusqu’au 31 décembre. - Expositions personnelles et modules : Ghost Rider, jusqu’au 1er octobre ; Fabien Giraud, Renaud Auguste-Dormeuil et Zilvinas Kempinas, jusqu’au 29 octobre. Palais de Tokyo, 13, av. du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 47 23 54 01, www.palaisdetokyo.com, tlj de midi à minuit.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°243 du 22 septembre 2006, avec le titre suivant : Millénarisme flamboyant

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