Paroles d’artiste

Michaël Borremans

« Montrer que l’image est artificielle »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 7 juillet 2006 - 754 mots

À travers dessins et toiles, l’exposition du peintre belge Michaël Borremans (né en 1963) à la Maison rouge, à Paris, nous entraîne dans un univers inquiétant et peu banal. Réel et fiction s’y entremêlent pour bousculer les a-priori présidant à la conception et à la réception des images.

 À la Maison rouge, pourquoi présenter séparément, dans deux salles distinctes, dessins et peintures ?
J’aurais aussi bien pu les mélanger, mais les peintures de cette série développent une certaine tension qu’elles ne partagent pas avec les dessins. De plus, elles ont pour moi une fonction différente. C’est pour cela que je les ai clairement distinguées des dessins.

En quoi consiste cette différence de fonction ?
Les dessins sont une chose que je fais un peu tous les jours. Comme un écrivain, je mets mes idées sur papier, et celles-ci sont pratiquement toujours visuelles. Faire un dessin est toujours innocent. Faire une peinture relève d’un tout autre engagement, cela a un autre poids, une autre signification et c’est un autre geste. Une fois exposée, une bonne peinture est une présence, comme une personne dans une pièce. Ce n’est plus une image fixe, cela bouge mentalement et produit autre chose. Mais il n’y a pas de hiérarchie, dessin et peinture sont simplement des pratiques différentes.

Dans les deux séries de dessins que vous exposez, The Good Ingredients (2006) et The House of Opportunity (2004-2005), il est question de construction via l’architecture et le corps.
Pour les deux séries, mon inspiration est la même : la société tout simplement. Tout vient de ce que je vois, de ce que je constate. L’architecture, un élément très présent dans notre société occidentale, a, à mon avis, beaucoup plus d’influence que nous ne le pensons, car faire un geste dans l’espace public est une grande responsabilité. Le corps a plus, pour moi, une relation avec le point de vue dicté par les médias. En dessinant des figures géométriques et décoratives faites d’assemblages de corps, j’aborde les thèmes du terrorisme et de la violence, que les médias présentent toujours avec une grande distance. Nous ne sommes jamais sûrs de ce que nous voyons, cela devient un spectacle. Les gens ont souvent une fascination pour ce qui est violent et bizarre. Cela m’a toujours intrigué. Ce n’est pas une critique de la population, ni des médias, juste un constat.

Vous jouez beaucoup avec les échelles des personnages, de la maison… Pourquoi prenez-vous tant de libertés ?
Pour effacer les références de la composition, mais c’est aussi une métaphore. Je m’amuse à donner d’autres références au regard.

La lumière et les ombres sont très importantes dans votre peinture. Le lièvre de The Hare (2005) est très éclairé alors que le visage du garçon qui le tient est très sombre ; et la taille des ombres n’est parfois pas naturelle, plus grande, comme dans Three Men Standing (2005)…
J’ai toujours aimé jouer avec l’ombre. Dans certaines toiles, celle-ci a un rôle pratiquement aussi important que les personnages eux-mêmes. L’éclairage est totalement artificiel, agressif, parce que les scènes sont elles-mêmes agressives. Je voudrais montrer que l’image est artificielle, que c’est une mise en scène. C’est une des raisons pour lesquelles je peins. Peindre donne une très grande distance par rapport à la réalité, c’est une langue. Et, plus cette langue s’éloigne de la réalité, plus elle devient indépendante.

Les cadrages très serrés sur les personnages visent-ils à accentuer un effet dramatique ?
Absolument, et l’influence du film sur ma manière de peindre est ici visible. Mais c’est aussi notre manière de voir aujourd’hui, très influencée par le cinéma et la télévision. Nous ne sommes plus capables de voir un paysage comme au XVIIIe siècle, le regard évolue.

Dans vos toiles, la plupart des personnages ont toujours l’air troublés, inquiets ; l’atmosphère est pesante…
Mes personnages sont des antihéros. Les choses passent sur eux comme une avalanche. C’est mon point de vue sur l’existence humaine. J’ai fait poser des modèles dans mon atelier, mais je ne les ai pas portraiturés. Je n’en ai utilisé que la forme. C’est la raison pour laquelle ils sont un peu inquiétants. La peinture ne semble pas être ce que l’on attend d’elle.

S’il ne s’agit pas de portraits, sommes-nous plutôt dans le réel ou dans la fiction ?
Dans les deux ! J’utilise la fiction pour marquer des corps, la réalité. Un artiste montre toujours un milieu bizarre.

MICHAËL BORREMANS. THE GOOD INGREDIENTS

Jusqu’au 24 septembre, La Maison rouge, 10, bd de la Bastille, 75012 Paris, tél. 01 40 01 08 81, www.lamaisonrouge.org, tlj sauf lundi-mardi 11h-19h, jeudi 11h-21h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°241 du 7 juillet 2006, avec le titre suivant : Michaël Borremans

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