Paroles d’artiste

Martin Boyce

« Je m’intéresse à l’idée d’attraper un aperçu »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 8 septembre 2006 - 786 mots

Pour le compte de Robert Mallet-Stevens, invité à l’Exposition des arts décoratifs et industriels modernes de 1927, à Paris, les frères Joël et Jan Martel créèrent des arbres en ciment armé très stylisés. Avec une extrême élégance et un dépouillement confinant à l’épure, l’artiste écossais Martin Boyce (né en 1967), présenté au FRAC (Fonds régional d’art contemporain) des Pays de la Loire, à Carquefou, revisite brillamment ce motif. Il compose un paysage où luminaires suspendus, arbres recréés sur des piliers, barrière et cabines téléphoniques font évoluer le visiteur dans un moment comme suspendu, entre rêve et impressions d’une réalité.

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser aux arbres des frères Martel ?
L’image ou la forme de l’arbre en général sont devenues des choses avec lesquelles je travaille beaucoup, particulièrement depuis la grande installation réalisée pour le centre d’art contemporain Tramway à Glasgow [en Écosse] (Our Love is Like the Flowers, the Rain, the Sea and the Hours, 2003). Cela est apparu au moment où j’ai commencé à réfléchir à l’espace public. Et aussi à envisager un vrai paysage que l’arbre viendrait ponctuer. Il est en outre intéressant de voir des objets donner forme à l’espace. Comment un paysage avec des bancs publics, des poubelles…, devient-il un parc ? Ces petits détails transforment et vous emmènent ailleurs. Je suppose que les arbres sont devenus intéressants quand ils ont pris une voie abstraite. Cette combinaison entre abstraction, matériaux concrets et poésie de la nature me séduit particulièrement.

Un lien formel unit toutes les composantes de l’exposition à cet arbre particulier…
Oui, tout est lié. Je possédais cette image à l’atelier depuis plusieurs années, sans savoir si je pouvais en faire quelque chose. Pour une exposition, l’année dernière, j’ai essayé de travailler ce motif. Ce n’est pas vraiment un commentaire sur l’arbre ou sur les artistes qui ont réalisé ce dessin, ni sur Mallet-Stevens. C’est plus une stylisation à partir de laquelle les arbres deviennent des pièces à part, et aussi une part d’un tout, comme un système modulable.

Comment avez-vous élaboré ce système ?
J’ai commencé par fabriquer des maquettes des arbres, puis je les ai photographiées. Ces photos noir et blanc constituent la première pièce. J’étais alors dans un processus de découpage de la forme et j’ai joué avec ses principales composantes. Progressivement, j’ai compris la complexité de la structure. Dans ces œuvres, tout vient des arbres et y retourne. Dès lors, j’ai développé un travail graphique partant de la structure centrale des arbres, une étude qui a abouti à la barrière et aux autres éléments. Par exemple, la cabine téléphonique est un détail, un coin. Cela m’intéresse beaucoup de regarder ces formes et de voir comment on peut les appliquer à une multitude de choses, de jouer avec leurs possibilités.

L’idée de paysage est très importante dans votre travail, mais il s’agit d’un paysage métaphorique, allégorique.
Il n’est absolument pas question de recréer une forme de réalité. Je me suis toujours intéressé au paysage pour créer des images. J’aime cette idée de paysage que l’on ressent comme gelé et arrêté dans le temps. Je pense que cela dépend aussi de l’espace d’exposition auquel vous devez répondre.

De cette idée de paysage gelé découle la question de la présence du corps et de l’être humain. Sans le visiteur, vos paysages apparaissent vides…
Je travaille entre réalité et fiction, proposant un espace imaginaire. C’est l’idée que vous ne pouvez jamais pénétrer l’image. Vous pouvez marcher autour de la barrière, en être très proche, mais il y a toujours une distance, vous restez à l’extérieur, car ce n’est pas la réalité. C’est là, en face de vous, mais cela existe aussi dans votre imagination.

Quel genre d’atmosphère avez-vous souhaité créer ?
Lors de l’exposition au Tramway, j’ai cherché une atmosphère un peu magique et poétique. C’est un peu la même chose ici, à Carquefou. Les matériaux sont très urbains et durs. La lumière est sombre et la façon dont elle interagit l’apparente à celle d’un rêve. Certains ont parfois opéré des rapprochements entre mon travail et le modernisme, mais je n’y ai moi-même jamais vraiment pensé. Il ne me semble pas que cela ait réellement de sens. La signification des choses change à travers le temps, et la perception également. Je m’intéresse plus à l’idée d’attraper un aperçu, comme lorsque vous êtes dans un train ou une voiture et que vous roulez vite. Ces images que vous voyez très vite, vous ne pouvez pas en observer les détails, mais vous en percevez le sens. J’essaye de créer ce moment.

MARTIN BOYCE. ELECTRIC TREES AND TELEPHONE BOOTH CONVERSATIONS

Jusqu’au 8 octobre, FRAC des Pays de la Loire, La Fleuriaye, 44470 Carquefou, tél. 02 28 01 50 00, www.fracdespaysdelaloire.com, du mercredi au vendredi 13h-18h, samedi-dimanche 15h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°242 du 8 septembre 2006, avec le titre suivant : Martin Boyce

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