Monaco

Mark Dion interroge l'espace incertain qu'est la mer

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 11 mai 2011 - 664 mots

Dans deux mises en scène brillantes, l’artiste s’empare du Musée océanographique et de la Villa Paloma.

MONACO - Quand certains artistes cherchent d’emblée à épater la galerie avec une présence très affirmée dans les lieux qui les convient, d’autres s’y glissent tout en finesse, avec subtilité et humilité. Mark Dion est de ceux-là, qui, l’air de rien, s’est infiltré dans les espaces du Musée océanographique de Monaco et de la Villa Paloma, l’un des deux lieux d’exposition du Nouveau Musée national de Monaco (NMNM). Des traces de son passage n’en sont pas moins visibles dans un double projet ambitieux, « Océanomania : Souvenir des mers mystérieuses, de l’expédition à l’aquarium », qui interroge l’espace incertain qu’est la mer comme la fascination qu’elle ne cesse d’exercer.

Au Musée océanographique, l’artiste américain s’est joué d’un accrochage centenaire qui n’avait guère bougé depuis l’inauguration des lieux par le prince Albert Ier en 1910. Dans les salles latérales du premier étage, ses œuvres, qui évoquent tant l’exploration – ainsi un placard contenant du matériel de plongée (The Marine Biologist Locker (Cousteau’s Cabinet), 1993-1998) – que les questions environnementales, se mêlent insidieusement aux trésors du musée. Des oiseaux mazoutés se sont ainsi discrètement installés parmi les impressionnants squelettes de cétacés (Flamingo, 2002), tandis que le célèbre ours polaire semble s’être métamorphosé, un palmier ayant trouvé refuge sur son dos (Iceberg and Palm Trees, 2007) ! 

Relecture des collections
L’ours du musée, le « vrai », a quant à lui pris place dans un impressionnant cabinet de curiosité conçu par Dion, qui à lui seul constitue un acte de bravoure ; l’artiste est, il est vrai, devenu un spécialiste patenté en la matière. Haut de 10 mètres et large de 18, ce cabinet rassemble plusieurs milliers d’objets issus des collections. Il propose une nouvelle organisation et donc une relecture de ces fossiles, spécimens conservés dans des bocaux, animaux naturalisés, instruments divers, documentation scientifique, etc. À la Villa Paloma, Mark Dion est devenu introuvable ou presque ; de ses œuvres n’est visible qu’un petit dessin. Discret toujours, il s’est acoquiné avec l’équipe du NMNM pour pouvoir fouiner dans les réserves monégasques. De singulières trouvailles en résultent : deux Monet méconnus représentant les côtes de la principauté, des photos de poulpes ou d’hippocampes de Jean Painlevé, des planches originales du biologiste Ernst Haeckel illustrant la faune marine, des objets kitsch en coquillages… Elles se mêlent à des œuvres d’artistes contemporains, parmi lesquels Katharina Fritsch, David Casini, Allan Sekula, Pam Longobardi, Lucio Fontana…, pour composer un récit allégorique qui semble se dérouler en dehors du temps. Au-delà du délicieux mélange des genres qui flotte lors de toute la visite, c’est ce « hors temps » qui intéresse, car il rend manifeste une fascination complexe entretenue par les artistes à l’endroit de la mer, quelle que soit l’époque. Exposé dans la première salle, un exemplaire original de Vingt Mille Lieues sous les mers, de Jules Verne, réunit la diversité des questionnements et l’ambiguïté des sensations portées par l’Océan : l’intérêt pour la science et l’exploration, le lieu d’expérimentation sociale, le lien ambigu entretenu tant avec la technique qu’avec les éléments naturels, la fascination – pour ne pas dire l’idéalisation –, en même temps que la crainte et la répulsion.

Mêlés aux travaux anciens exhumés des réserves, la formidable série de grandes toiles de Bernard Buffet illustrant Jules Verne, les radeaux d’Ashley Bickerton, les photos de Xaviera Simmons figurant des embarcations de fortune chargées de gens fuyant leur pays, ou les tableaux « flashy » d’Alexis Rockman recomposant la chaîne alimentaire sous-marine, dévoilent un univers où la poésie ne masque pas la dureté des préoccupations environnementales et sociales.

OCEANOMANIA : SOUVENIRS DES MERS MYSTÉRIEUSES, DE L’EXPÉDITION A L’AQUARIUM

Jusqu’au 30 septembre, Musée océanographique de Monaco, av. Saint-Martin, Monte-Carlo, Monaco, tél. 377 93 15 36 00, www.oceano.org, tlj 9h30-19h, en juillet-août 9h30-19h30. Nouveau Musée national de Monaco, Villa Paloma, 56, bd du Jardin-Exotique, Monaco, tél. 377 98 98 48 60, www.nmnm.mc, tlj 10h-18h. Catalogue à paraître.

OCEANOMANIA

Projet : Mark Dion

Commissariat : Sarina Basta et Cristiano Raimondi (NMNM)

Conseil scientifique : Patrick Piguet (Institut océanographique) et Nathalie Rosticher-Giordano (NMNM)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°347 du 13 mai 2011, avec le titre suivant : Mark Dion interroge l'espace incertain qu'est la mer

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