Art contemporain

Rétrospective

Mario Merz, à toute allure

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 18 février 2005 - 729 mots

À peine plus d’un an après sa mort, Turin rend hommage, à travers deux expositions, à l’énergie prolifique et fusionnelle de Mario Merz : entre excitation et déception.

TURIN - Pensée comme prélude à l’inauguration de la fondation qui portera son nom et doit ouvrir ses portes sur un espace de 2 000 m2 situé au centre de Turin en avril, cette rétrospective de près de quatre-vingts œuvres de Mario Merz se déploie entre la Galleria Civica d’Arte Moderna e Contemporanea (GAM), à Turin, couvrant la période 1952-1969, et le Castello di Rivoli, près de Turin.
Acte II : Rivoli et des œuvres courant du début des années 1970 à 2003. Dès la première salle, deux pièces exceptionnelles, concentrant une part importante de la recherche de l’artiste, saisissent à travers le développement de deux applications possibles de la suite de Fibonacci. Pivot de sa réflexion, Merz voyait dans cette suite mathématique un processus de croissance organique et vitale essentiel, qui plus est adaptable à divers règnes et domaines de l’environnement (homme, animal, végétal, architecture...).

Transmission des fluides
Accrochée à 90° sur un mur, une moto dont le guidon porte deux grandes cornes entraîne derrière elle une suite de numéros en néon. Accelerazione = sogno, numeri di Fibonacci al neon e motocicletta fantasma (1972) associe d’emblée le principe de croissance à la vitesse. Devenant tous deux régulateurs, non seulement du monde réel mais encore de celui des rêves, ils donnent une dimension globale au propos. Sur le mur opposé, une suite de chiffres s’intercale entre des photographies prises dans un restaurant, au gré des va-et-vient des clients (Senza titolo. Una somme reale e una somma di gente, 1972). Une dimension humaine est ici introduite, d’autant que Merz y inclut la table, autre objet fondamental dans son travail, puisque pensé comme élément de jonction de la relation entre l’espace, les gens et les choses.
C’est d’ailleurs une somptueuse table en spirale – motif récurrent concentrant vitesse et mouvements cosmiques – qui occupe la salle suivante, avec fruits, légumes et journaux, comme autant de rappels de l’importance du temps réel de l’œuvre (Tavolo a spirale in tubolare di ferro per festino di giornali datati il giorno del festino, 1976). Des igloos sont présentés évidemment (pensés comme des développements tridimensionnels de la spirale), de même que ces peintures d’animaux « préhistoriques » (rhinocéros, lions, iguanes...) des années 1980-1990, en référence à l’énergie du primitif.
Évitant la dilution du propos dans un trop grand nombre d’œuvres, l’exposition trouve au contraire le bon rythme dans la concentration de la sélection, qui assure un salvateur degré de tension et de nervosité entre les éléments.
Retour à l’acte I : à la GAM, l’exposition s’ouvre sur une vingtaine de peintures et œuvres graphiques des années 1955-1963, remarquables, elles aussi, d’énergie et de mouvement. L’allusion au naturel y est constante (Foglia, 1952, Seme nel vento, 1953). Les tons sont plutôt sombres, la facture assez épaisse, les soubresauts fréquents. Dans l’un des dessins (Sans titre, 1955), on observe une combinaison de sphères ; la spirale également est déjà là (Foglia a spirale, 1955).
Viennent ensuite des sculptures, de petite taille pour la plupart, merveilles de délicatesse formelle et symbolique, qui achèvent de prouver que le vocabulaire de Merz fut très tôt constitué. De fins néons bleus assurent la transmission des fluides chère à l’artiste en traversant des objets : poêles, bouteilles ou verres (Senza titolo, padella trapassata, 1966, Bicchiere e bottiglia trapassati, 1967). La sculpture de cette période se révèle vite comme une série de concentrés d’énergie pure.
Reste que la présentation est déplorable, dans des espaces manquant cruellement de volume avec moquette noire au sol et éclairage défaillant. Les toiles s’enchaînent comme dans un couloir de métro vaguement amélioré. La juxtaposition des sculptures évoquerait presque un déballage de marché aux puces. « Que faire ? », s’exclame un néon dans une casserole de fonte pleine de cire (Che fare ?, 1968). Que faire, oui. La GAM est en attente d’un autre lieu. Une urgence, tant on se demande si cette exposition sert ou dessert son sujet.

MARIO MERZ

Jusqu’au 27 mars, Castello di Rivoli, Piazza Mafalda di Savoia, Rivoli (Turin), tél. 39 011 956 52 20, www.castellodirivoli.org, du mardi au jeudi 10h-17h, du vendredi au dimanche 10h-21h ; GAM, via Magenta 31, Turin, tél. 39 011 442 95 18, www.gamtorino.it, du mardi au dimanche 9h-19h, fermé le lundi.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°209 du 18 février 2005, avec le titre suivant : Mario Merz, à toute allure

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