Maisons et objets

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 30 novembre 2007 - 677 mots

Au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, la rétrospective de l’artiste Mathieu Mercier mêle domotique et histoire de l’art. Leçon de choses.

PARIS - Des étagères, des chaises, des ampoules, une assiette, des fils électriques, on se croirait presque chez soi pour la première exposition personnelle de Mathieu Mercier au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Pour le visiteur, c’est comme s’il pénétrait dans la maison qu’il a présentée il y a quatre ans pour son exposition au Centre Pompidou dans le cadre du Prix Marcel-Duchamp 2003 et aujourd’hui au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg : un habitat standardisé digne des dépliants les plus basiques nous apparaissait dans sa plus grande efficacité. Mais comme une image trop prometteuse, il était impossible d’aller au-delà du seuil de ce pavillon vide. Une œuvre qui n’était pas sans nous rappeler la maison Bouygues photographiée par Claude Lévêque et surmontée en toutes lettres d’un angoissant « Prêts à crever ? ».
Au croisement du ready-made, du design et de l’art, entre fonction et artifice, Mathieu Mercier revient sur sa passion pour le bricolage et le système D dans une exposition rétrospective sage et rangée, dont on fait le tour du propriétaire sur un mode chronologique. À 37 ans, l’artiste présente 15 ans de travail dans un ordre aussi efficace que rationnel : de 1993 à 2007, des objets et du mobilier revisité, un goût prononcé pour le mélaminé blanc, cet aggloméré de bois qui nous renvoie aux intérieurs rapidement aménagés grâce aux bons soins d’Ikea ou de Conforama. Une suite de formes impeccables se succède et évoque la consommation en série pour mieux nous libérer de son emprise, par l’accumulation, l’amplification ou la multiplication ou bien par la seule présence d’un objet « already made » présenté dans son plus simple appareil, ready-made simples ou aidés donc. Figurent ainsi une porte blindée d’acier, une porte-fenêtre, un mur de briques, des multiprises dans une motte de plâtre. Un agglomérat d’ampoules et de douilles forme une lampe. Le simple motif circulaire d’une assiette se répète et s’amplifie autour de l’objet comme une onde de choc, dans un esprit qui respecte une stricte géométrie. Un encastrement de cubes gigognes prend des airs de sculptures abstraites, des planches de mélaminé forment des étagères qui nous rappellent les couleurs et les lignes de Mondrian. Peu à peu, cette suite de pièces nous amène à une lecture de l’histoire de l’art du XXe siècle à travers les avant-gardes : Bauhaus, constructivisme, abstraction géométrique, minimalisme… Presque un parcours pédagogique masqué où les aspects graphiques et géométriques tiennent le grand rôle. On y retrouve ses références, la chaise Rietveld, des néons à la Flavin, des boîtes de cartons qui nous rappellent autant Rodchenko que les Brillo Boxes de Warhol. Des plaques de marbre au sol nous renvoient au minimalisme de Carl Andre, une boule de pétanque reliée à un manche d’acier et posée nonchalamment contre le mur à l’oblique rappelle les célèbres « bâtons » de Cadere... Et un tableau noir et blanc circulaire évoque autant les facettes d’un diamant que les codes picturaux du siècle dernier... Bref, Mathieu Mercier connaît bien ses classiques et sait les revisiter. Mais son radicalisme permet peu d’incursions dans un vivant incontrôlable. À l’exception d’une « holothurie », soit un concombre de mer tapi dans un aquarium bien rectangle. Aussi organique que domestique, attrayant qu’inanimé, l’animal marin aux couleurs fascinantes reste un objet qui respire. Dans cette impeccable exposition, même l’organique est rationalisé. C’est du côté de l’Homonculus, sorte de monstre de bronze rappelant vaguement l’homme, qu’apparaît un peu de relâchement. Mais il correspond en réalité à l’interprétation scientifique des zones les plus sensibles du corps. Pour celui qui cherchera un peu d’humour (pince-sans-rire), il faudra se pencher sur le plan de l’exposition et les titres et commentaires des œuvres. En finesse.

MATHIEU MERCIER, SANS TITRES, 1993 – 2007

Jusqu’au 6 janvier 2008, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, tlj sauf lundi 10h-18h.

Mathieu Mercier

- Commissaire d’exposition : Julia Garimorth - Mécénat : Groupe Galeries Lafayette - Nombre de pièces : 46 pièces

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°270 du 30 novembre 2007, avec le titre suivant : Maisons et objets

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