Design

L’usage du monde

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 22 septembre 2010 - 738 mots

Le Triennale Design Museum, à Milan, s’ouvre à la vision anthropologique d’Alessandro Mendini sur le design.

MILAN - Rares sont les présentations de design d’où l’on ressort avec le sourire aux lèvres. C’est le pourtant cas avec « Quali Cose Siamo » [« Quels objets sommes-nous ? »], troisième exposition annuelle concoctée par le Triennale Design Museum de Milan (TDM) depuis son ouverture en décembre 2007 (lire le JdA no 272, 4 janvier 2008, p. 6), et consacrée au design italien. Dès l’entrée, le visiteur se retrouve face à un joyeux bric-à-brac. Alessandro Mendini, designer italien et commissaire scientifique, et Pierre Charpin, designer français et scénographe, annoncent la couleur. Elle est jaune canari, à l’instar de ce gigantesque podium garni d’objets : la reproduction géante d’une sandale dessinée par Salvatore Ferragamo pour Judy Garland, un squelette, un Michel-Ange en plâtre de 5 mètres de haut, une lampe de Tobia Scarpa, une bouteille de Campari surdimensionnée, un triporteur avec sièges en cuir, un fauteuil découpé en tranches… Échelles variées, couleurs différentes, matériaux divers, thèmes multiples…, on l’aura compris, le parcours sera tout sauf linéaire. « Nous avons fait se court-circuiter le minimalisme poétique et conceptuel de Pierre Charpin avec l’encyclopédisme pointilleux et surprenant d’Alessandro Mendini, avec sa passion protéiforme et déterminée pour toutes les manifestations de la culture matérielle et, par-dessus tout, avec son idée d’une «responsabilité’’ intrinsèque des objets de design », explique Silvana Annicchiarico, directrice du TDM.

L’étincelle provoquée par ledit court-circuit est colossale. Sont en effet montrés près de… 800 objets. Une gageure ! « On pourrait définir ce musée comme un flipper !, lance, avec humour, Alessandro Mendini. Le visiteur est telle une boule de flipper qui rebondit sur un objet, lequel la renvoie sur un autre, et ce, 794 fois, avant d’entrer dans le trou. À chacun de jouer sa propre partie, selon sa propre attention. » Les parties à jouer, autrement dit les histoires à écrire, sont légion. Le « flipper » de Mendini repose sur plusieurs dispositifs. Certains objets s’exhibent seuls, pour leur qualité intrinsèque : le gracile siège Modello 683 de Carlo De Carli ; le moule de la fameuse sculpture/presse-citron de Philippe Starck Juicy Salif ; une Alfa Roméo 1750 GS ; le robot-vidéo Ines de Denis Santachiara, les personnages Gormiti – des jouets dessinés par un Italien et fabriqué en Italie, une prouesse, de nos jours ! ; un gilet de protection pour motard de Marc Sadler ; sans oublier, Italie oblige, le dessin technique d’une… pâte conçue par le styliste automobile Giorgetto Giugiaro pour Barilla. N’oublions pas les fondamentaux !  Ailleurs, Mendini s’amuse à mettre en regard un meuble bolidiste des années 1980 signé Massimo Iosa Ghini avec ce projet de villa de Piero Portaluppi datant de 1930. Ou bien il place en parallèle à cette toile de Felice Casorati, Una Donna o L’Attesa (1919), montrant une table dressée, de la vaisselle utilisée dans les prisons et les hôpitaux entre 1900 et 1950.

« Design invisible »
Certaines mises en scène de Mendini sont comme des petits théâtres où les objets deviennent des personnages. S’y côtoient pièces miniatures et objets hors d’échelle, de masse ou en série limitée, brillants ou mats, fragiles ou résistants, statiques ou mobiles, artisanaux ou technologiques, antiques ou contemporains, pauvres ou luxueux, utiles ou pas… Une aussi foisonnante sélection – son côté « marché aux Puces » – pourrait paraître suffocante ; elle est, au contraire, euphorisante. Parce qu’elle est à la fois multiforme et imprévisible, elle n’en devient que plus passionnante.  La vision de Mendini est loin d’être orthodoxe. L’homme lorgne par-delà les frontières « institutionnelles » du design vers ce « monde parallèle infini » habité de « choses » qui sont l’expression d’un « design invisible ». Sont ainsi mis en avant des objets ou des processus qui ne se réfèrent pas aux canons habituels de la discipline, mais qui témoignent, néanmoins, d’une importance sociale indiscutable. À travers son regard, et c’est là le point essentiel de cette exposition, Mendini déploie une vision anthropologique du design, une culture dite « populaire » dans le sens le plus noble du terme, l’histoire du vécu d’un pays.

QUALI COSE SIAMO

Jusqu’au 27 février 2011, Triennale Design Museum, Viale Alemagna, 6, Milan, Italie, tél. 39 02 72 43 42 41, tlj sauf lundi 10h30-20h30, jeudi et vendredi jusqu’à 23h, www.triennale.it

Commissaire scientifique : Alessandro Mendini, designer et théoricien
Scénographe : Pierre Charpin, designer
Nombre de pièces : 794

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°331 du 24 septembre 2010, avec le titre suivant : L’usage du monde

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