Art contemporain

L’hyperréalisme ambigu de Charles Ray

Par Anne-Charlotte Michaut · L'ŒIL

Le 25 janvier 2022 - 755 mots

PARIS

L’œuvre du sculpteur américain est célébré par une double exposition inédite en France. Préparée en étroite collaboration avec cet artiste majeur de l’art actuel, cette monographie réunit une quarantaine de sculptures à Paris. Une première dans le monde !

Si le Centre Pompidou présente les cheminements de l’artiste depuis ses expérimentations performatives des années 1970 jusqu’à des sculptures récentes donnant à voir la diversité des matériaux et des sujets dont il s’empare, la Bourse de commerce explore quant à elle la question de la figuration humaine, apparue dans son travail dans les années 1990, à travers la présentation de près de vingt sculptures, dont six inédites. Complémentaires, ces deux expositions, dont l’enjeu n’est ni rétrospectif ni narratif, se construisent sur un réseau d’échos et de dialogues afin de donner un aperçu représentatif de l’œuvre de l’artiste. Né en 1953 à Chicago, Charles Ray étudie l’histoire de l’art à l’University of Iowa, puis sort diplômé en beaux-arts de la Mason Gross School of Arts en 1979. Installé depuis 1981 à Los Angeles, il développe depuis près de cinquante ans un œuvre singulier et inclassable, tout entier tourné vers la (re)définition de la sculpture.

Un condensé de l’histoire de la sculpture

Une des caractéristiques du travail de Charles Ray est de mêler canons classiques, sujets contemporains et techniques de pointe. Jouant avec l’espace et l’échelle, ses œuvres nécessitent un temps long d’observation pour en saisir toute la richesse. Ainsi affirme-t-il qu’« une sculpture est en puissance un essai écrit dans quatre dimensions de notre monde vécu, les trois dimensions de l’espace et celle du temps ». Malgré leur apparence hyperréaliste, ses œuvres s’avèrent toujours ambiguës, énigmatiques, du fait des subtiles distorsions (d’échelle, d’iconographie…) que l’artiste y instille.

En témoigne Horse and Rider (2014), qui accueille le visiteur sur le parvis de la Bourse de commerce et concentre de multiples facettes de l’œuvre du sculpteur. Cet autoportrait, une pratique récurrente dans son travail, déjoue les codes de la statuaire équestre classique ainsi que le mythe du cow-boy américain. Toute dimension héroïque ou commémorative est évacuée : l’homme est représenté voûté, le cheval semble épuisé, et l’absence de rênes teinte la représentation d’étrangeté. L’utilisation de l’acier inoxydable montre également l’attention portée par l’artiste aux matériaux et à leurs propriétés, le poli du métal conférant ici un aspect chatoyant à l’œuvre. En outre, la présentation extérieure témoigne de la prise en compte des marques du passage du temps et de la confrontation avec le public comme parties intégrantes de la sculpture.

Emblématique du travail de Charles Ray, Horse and Rider est un parfait préambule à la découverte d’un œuvre riche et pluriel qui peut, en un sens, être considéré comme un condensé de l’histoire de la sculpture, depuis l’Antiquité jusqu’au minimalisme, en passant par la Renaissance, tout en étant ancré dans l’époque contemporaine.

"Boy With Frog" (2009)

Puisant des références iconographiques dans la Renaissance, cette sculpture monumentale (2,50 m) représente un garçon nu brandissant de son bras droit une grenouille qu’il tient par la patte. L’œuvre est ambivalente, en ce que le moment de l’action ainsi figée peut soit figurer une découverte ingénue, soit suggérer une destruction imminente. Répondant à une commande de François Pinault pour l’ouverture de la Pointe de la douane à Venise en 2009, Boy With Frogétait destinée à interagir avec son environnement. Pour Charles Ray, « le sens de la sculpture réside dans l’espace entre le garçon et la grenouille […]. Cet espace est la charpente de la sculpture. »

"Fall ’91" (1992)

Ce mannequin féminin surdimensionné est caractéristique du travail de Charles Ray dans les années 1990. D’apparence hyperréaliste, cette œuvre brouille notre appréhension de l’œuvre par l’augmentation de 30 % des proportions, jouant ainsi de l’échelle et de l’inscription de la sculpture dans l’espace. Charles Ray s’intéresse au mannequin en tant que « véhicule des représentations contemporaines », et instaure une tension entre le statut d’objet inanimé et la représentation d’un être humain. Exposée au Centre Pompidou, cette œuvre répond à une autre, de la même série, présentée à la Bourse de commerce.

"No" (1992)

Derrière l’apparence d’un autoportrait photographique classique se cache en réalité une multitude de strates : c’est un moulage du visage de l’artiste, réalisé en fibre de verre puis peint, qui est pris en photo. Paul Schimmel écrit à propos de cette œuvre qu’elle « fait passer une objectivation de Ray comme une représentation subjective de l’artiste ». En effet, il interroge le statut de l’image et l’illusion, ainsi que le travail artistique, dissimulant ici le temps de production derrière ce qui semble de prime abord être un instantané.

« Charles Ray »,
du 16 février au 6 juin 2022. Centre Pompidou et Bourse de commerce, Paris. www.centrepompidou.fr et www.pinaultcollection.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°751 du 1 février 2022, avec le titre suivant : L’hyperréalisme ambigu de Charles Ray

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