Art contemporain - Fondation

Un regard sur la collection Pinault à travers ses affinités électives

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 14 août 2022 - 696 mots

PARIS

La première exposition conçue par Emma Lavigne réunit dix-neuf artistes parmi lesquels Philippe Parreno, Dominique Gonzalez-Foerster et Tino Sehgal.

Paris. En assurant le commissariat d’« Une seconde d’éternité », Emma Lavigne, nouvelle directrice générale de Pinault Collection, fait dialoguer entre elles les œuvres de la Collection Pinault, ce fonds exceptionnel, tout en affirmant à travers son regard les affinités qui existent entre certaines. L’exposition, qui prend pour point de départ la pensée et l’œuvre de Felix González-Torres (1957-1996), ouvre sur son « Untitled » (Go-Go Dancing Platform), 1991 : un podium blanc bordé d’ampoules qu’une fois par jour, de façon aléatoire et pendant cinq minutes, un go-go dancer, torse nu en short argenté, muni d’écouteurs, occupe en se déhanchant, une présence solitaire et homoérotique quelque peu saugrenue. Dans l’Amérique post-Reagan, ce protocole était une façon de contaminer l’espace du « white cube » en évoquant une autre réalité sociopolitique, rappelle Emma Lavigne, qui avait déjà présenté cette pièce au Centre Pompidou à Paris, dans le cadre de « Danser sa vie » dont elle était co-commissaire en 2011. Dans le salon de la Bourse de commerce, cette irruption à éclipse souligne le vide de la forme rutilante autant que la force de la réactivation, capable de faire apparaître et disparaître les images, et les corps. C’est le fil rouge d’une sélection d’œuvres qui mélange des icônes de la collection, tel, du même González-Torres, le rideau de perles bicolores « Untitled » (Blood), 1992, évoquant les flux sanguins, avec d’autres présentées pour la première fois. Ainsi de Repeating the Obvious (2019), de Carrie Mae Weems, qui réitère sous différents formats le cliché d’une silhouette masculine à contre-jour, le visage occulté par une capuche, anonyme et familière. Une forme vide, à nouveau, devenue un support de projections et de fantasmes, comme la sculpture Gober Wedding Gown (1996), reproduite par Sturtevant d’après la robe de mariée satinée de l’œuvre originale conçue par l’artiste conceptuel Robert Gober en 1989.

Le parcours comprend également une spectaculaire adaptation de l’installation de Rudolf Stingel recouvrant la peau du bâtiment d’une couche de Celotex argenté, sur le modèle des « Silver Room », dont la première avait été montrée lors de l’exposition « Where Are We Going ? » (2006) au Palazzo Grassi à Venise. Entre art pariétal et graffiti urbain, cette pièce, que chacun est invité à ruiner par une intervention à même ses parois faiblement réfléchissantes, illustre la dimension créative de la déprédation anticipée par le processus artistique. Plus loin, les « Standing Walls » (1968-2016) de Larry Bell offrent un jeu de cache-cache avec la lumière, galerie des Glaces réduite à l’épure d’un dispositif de diffraction dans lequel les reflets naissent et disparaissent. La présence à soi-même est au cœur de l’œuvre.

Annlee réactivée

En convoquant les fantômes, celui de Baudelaire comme référence littéraire, de la Callas avec l’hologramme troublant d’OPERA (QM 15) de Dominique Gonzalez-Foerster, ou de Marilyn (2012), la vidéo de Philippe Parreno, « Une seconde d’éternité » tend à la dématérialisation. Mais « une dématérialisation qui laisse advenir d’autres événements, d’autres phénomènes visuels, esthétiques et poétiques », précise Emma Lavigne. Ainsi des éclats de soleil captés à travers la verrière par les héliostats d’Écho2 (2022) de Parreno, qui compose dans la rotonde un paysage entre nature et technologie. Lagon de moquette bleue et tas de neige artificielle fraient ici avec un écran géant de LED sur lequel est diffusé Anywhere Out of the World (2000), son film d’animation centré sur Annlee, figure de manga aux interrogations existentielles. Ce décor accueille à divers moments de la journée une « situation construite », selon ses propres termes, par Tino Sehgal, qui fait notamment intervenir des actrices incarnant le personnage d’Annlee.

Le plus étonnant cependant, à l’issue de cette traversée de la collection, est l’impression de dilatation du temps que l’on peut y éprouver. Celle-ci fait écho à la propagation progressive d’une thématique qui se répand dans tous les espaces de la Bourse de commerce, jusqu’à l’épilogue programmé cet automne avec l’installation immersive d’Anri Sala, Time No Longer (2021). Le cycle emprunte son titre à l’œuvre du Belge Marcel Broodthaers, à voir au niveau - 2, Une seconde d’éternité (d’après une idée de Charles Baudelaire), soit le film le plus court du monde, signature clignotante en guise de clin d’œil à la postérité.

Une seconde d’éternité,
jusqu’au 26 septembre, Bourse de commerce, 2, rue de Viarmes, 75001 Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°593 du 8 juillet 2022, avec le titre suivant : Un regard sur la collection Pinault à travers ses affinités électives

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