Patrimoine

Les NFT au secours du patrimoine culturel

Par Stéphanie Lemoine · L'ŒIL

Le 25 avril 2023 - 608 mots

Marché -  C’est un phénomène en pleine expansion et un effet inattendu de la pandémie de Covid-19 : depuis deux ans, les ventes sous forme de NFT d’œuvres d’art figurant dans les collections des musées se multiplient en Europe et aux États-Unis.

En 2021, il y a d’abord eu cette initiative des Offices à Florence et de l’entreprise milanaise Cinello : la vente, pour la somme de 240 000 euros, d’un exemplaire numérique, unique et infalsifiable, du Tondo Doni de Michel-Ange. En Italie, l’affaire a fait grand bruit. À coups d’articles et de tribunes dans la presse, elle a clivé ceux qui pointaient le risque de brader le patrimoine national et ceux qui voyaient là une manière de le valoriser, mais surtout une manne providentielle face à l’effondrement des chiffres de fréquentation. Après avoir encouragé les partenariats entre institutions publiques et entreprises privées pour la vente de NFT, le gouvernement italien a dû battre en retraite en 2022. Le projet de prolonger l’expérience avec Botticelli, Raphaël ou Caravage a été gelé.Trop tard : le mouvement était lancé. À l’été 2021, le Musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg, mettait aux enchères les reproductions numériques d’œuvres de Léonard de Vinci, Vincent van Gogh, Claude Monet, Vassily Kandinsky et Giorgione sur la plateforme Binance NFT. Montant des recettes : 444 000 dollars. Le British Museum suivait en septembre avec 200 NFT d’œuvres d’Hokusai, dans le cadre d’une rétrospective du maître japonais. En février 2022, à l’occasion de la Saint-Valentin, le Musée du Belvédère, à Vienne, récoltait 4,5 millions d’euros grâce à 10 000 reproductions NFT du Baiser de Klimt. Puis ce fut au tour du Musée des beaux-arts de Boston et du Musée Rops, à Namur. Les zélateurs d’une telle démarche la placent dans le droit-fil de ce qui se fait déjà en matière de produits dérivés. Après tout, il y a bien longtemps que circulent en masse les reproductions, sur toutes sortes de supports, des chefs-d’œuvre du patrimoine mondial, et rien ne semble à première vue distinguer les NFT de l’usage qui consiste à commercialiser dans la boutique du musée affiches, magnets, mugs ou tote bags. Ils seraient au fond des genres de tirages numériques, l’équivalent digital des sérigraphies ou des cartes postales. Ils auraient en plus la vertu d’élargir et de rajeunir les publics des institutions, ne serait-ce qu’en ouvrant la possibilité de voir les chefs-d’œuvre du patrimoine culturel mondial exposés dans les métavers. Quant aux questions relatives à la propriété intellectuelle (en matière de droit moral et de droits de représentation, notamment), à la fiscalité ou aux risques de blanchiment d’argent, elles ne seraient pas si épineuses, ni insurmontables. Surtout, la vente de NFT ne sert pas seulement les musées, mais tout autant, sinon plus, un écosystème numérique en pleine expansion. Derrière chacune de ces initiatives, on retrouve le même type de tandem entre une institution en difficulté financière, mais dotée de collections prestigieuses, et une start-up qui propose à grands frais de les numériser. La notoriété des œuvres et la relative nouveauté de la technologie Blockchain viennent alors soutenir le buzz et assurer le succès des ventes. A priori, tout le monde y gagne. Tout le monde sauf, peut-être, l’acquéreur. Car un NFT n’est pas tout à fait l’équivalent d’une sérigraphie ou d’un mug. C’est un actif numérique sur un marché hautement spéculatif, qui peut d’un claquement de doigts se muer en couteau de Lichtenberg, soit un couteau sans manche, auquel il manque la lame. S’il faut prendre au sérieux les difficultés financières des musées publics, on peut alors se souvenir qu’il existe pour les soutenir un dispositif moins coûteux et énergivore, mais autrement plus fiable : le mécénat.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°764 du 1 mai 2023, avec le titre suivant : Les NFT au secours du patrimoine culturel

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