Témoignage

Les lignes de vie de Mathieu Pernot

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 22 avril 2014 - 630 mots

Au Jeu de Paume et à la Maison Rouge, la diversité des modes de représentations du photographe donne la mesure et la cohérence d’une œuvre humaniste et citoyenne, en prise avec son époque et son passé.

PARIS - Rien n’est prémédité, ni scénarisé à l’avance chez Mathieu Pernot. « Le vrai moteur c’est l’image, la nécessité d’en faire ou ne pas en faire », dit-il. Pendant quelques années, je n’en ai pas fait. » La nécessité retrouvée, il cherche alors la forme idoine. « Les images doivent fonctionner avec leur corpus, dynamiter le programme », rompre invariablement d’une manière ou d’une autre avec les séries qui ont précédé. Au Jeu de Paume, « La Traversée » (sélection de séries que Mathieu Pernot a menées avec Marta Gili sur vingt années de production) ou « L’Asile des photographies » à La Maison Rouge (vaste installation conçue avec l’historien Philippe Artières à partir des archives visuelles de l’établissement psychiatrique de Picauville dans la Manche) en donnent pleinement la mesure.

Portraits d’enfant tsiganes à Arles lorsqu’il était étudiant à l’École nationale supérieure de la photographie ou plus récemment de migrants afghans ; corpus lié à l’urbanisme, à l’enfermement ou à la découverte d’archives (celle du camps de Saliers, où furent internés les Tsiganes durant la guerre ou de cartes postales d’habitats collectifs éditées entre les années 1950-1980) : à chaque fois le point de vue, le procédé, le format adopté et les développements choisis (écrits, installation, films…) diffère. Mathieu Pernot n’est pas l’auteur d’une seule forme, ni d’un travail ancré dans un seul temps. « Photomatons » (1995-1997), « Les Hurleurs » (2001-2004) ou « Le Feu » (2013) – série produite pour le Jeu de Paume – permettent de suivre à quelques années d’intervalle les enfants du camp de Tsiganes en périphérie d’Arles, devenus adolescents, puis adultes. Au fil du parcours, des existences sur une génération se développent. On peut ne pas le savoir. Seuls en préambule de l’exposition du Jeu de paume, les différents portraits de Giovanni à différentes périodes, de l’enfance à la paternité, l’évoquent à la manière d’un album d’instants épars accrochés au mur, prémisse d’une nouvelle série en cours de construction.

Dialectique de récits autour des parias
Sensible aux archives, aux albums de famille (qu’il collectionne), Mathieu Pernot recrée, constitue avec ses photographies une archive évolutive qui lui est propre. La traversée de l’œuvre au Jeu de Paume ou de la vie de l’établissement psychiatrique de Picauville reliée à celle des habitants de cette ville de La Manche colle à des traversées d’existence ou d’époque. Camps de Tsiganes en Camargue ou barres HLM de la banlieue parisienne, tour à tour éloge, rêve de modernité et cristallisation des maux d’une société qui n’en finit pas de ghettoïser : l’histoire individuelle chez Mathieu Pernot rejoint toujours, d’une façon ou d’une autre, l’histoire collective qu’il s’agisse de celle de la France sous l’Occupation face à la question de l’extermination des gitans ou aujourd’hui face à l’immigration clandestine ou à celle des Roms.

Mathieu Pernot, est en prise avec son époque, son passé. La marge replacée au centre, le temps ramené à une chambre d’échos constitue chez lui un ensemble de flux. La précision des choix autant que l’articulation, l’emboîtage et les dialogues des séries entre elles, comme ceux des documents et des installations, pointent la justesse, la force et la grande cohérence du propos. Elle ramène aussi à l’attention d’un homme à ses semblables. Un pur régal de lecture.

L’asile des photographies
Commissariat : Mathieu Pernot et Philippe Artières
Nombre d’œuvres : une installation, huit séries de photographies d’archives (environ 200), deux séries de photographies réalisées par Mathieu Pernot (25) et deux films projetés.

La Traversée
Commissariat : Mathieu Pernot et Marta Gili (directrice du Jeu de Paume)
Nombre d’œuvres : 226

Mathieu Pernot et Philippe Artières, l’asile des photographies
Jusqu’au 11 mai, La Maison Rouge, 10 boulevard de la Bastille, 75012 Paris www.lamaisonrouge.org
mercredi-dimanche, 11h-19h. « L’Asile des photographies », Philippe Artières et Mathieu Pernot, aux éditions Le Point du Jour, Prix Nadar 2013, 38 €.

Mathieu Pernot. La Traversée
Jusqu’au 18 mai, Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, 75008 Paris
www.jeudepaume.org
mardi 11h-21h, mercredi à dimanche 11h-19h ; catalogue de l’exposition, coédition Jeu de Paume/Le Point du Jour, 184 pages, 35 €.

Légende Photo :
Mathieu Pernot, Caravane, 2013, série « Le Feu », tirage jet d’encre, contrecollé sur dibond, 110 x 150 cm, collection de l’artiste. © Mathieu Pernot.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°412 du 25 avril 2014, avec le titre suivant : Les lignes de vie de Mathieu Pernot

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