Psychanalyse

Les enfants perdus

Treize artistes relisent le mythe de Peter Pan, l’enfant qui ne voulait pas grandir, à l’Espace culturel Louis-Vuitton, à Paris

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 16 novembre 2010 - 552 mots

PARIS - Rechercher l’essence de la création chez l’enfant qui sommeille en nous, tel est le programme critique de l’exposition « Qui es-tu Peter ? » à l’Espace culturel Louis-Vuitton, à Paris.

Ce laissez-passer pour une excursion régressive délivré par la psychanalyste associée au commissariat, Annabelle Gugnon, réveille chez le visiteur l’excitation du gamin boulimique devant la vitrine d’un magasin de jouet. 

Dans le hall de la rue Bassano, la boîte de nuit d’un panda frénétique créée par Ji Ji (Panda’s dream box) semble donner le ton, autant que la vitrine imaginée par Jean-Philippe Illanes, théâtre des jeux masochistes d’une ménagerie en peluche (Mes contrées imaginaires). Au septième étage, la féerie se poursuit dans un parcours labyrinthique digne d’un parc d’attractions, où les sens sont sollicités par tous les médiums. Si le visiteur retrouve ici son âme d’enfant, l’amateur d’art y trouve son bonheur avec des œuvres magistrales comme cette sculpture postmoderne-punk de Lothar Hempel (Fool’s Rock) ; minutieuses comme l’installation de dessin et de couture réalisée par Marina de Caro ; monumentales comme les gribouillis faits sculpture par Michel François. Mais la traversée du monde imaginaire se fait plus tortueuse – comme l’est en définitive l’analyse du roman de James Matthew Barrie – dès lors qu’elle est guidée par des artistes assez retors pour emprunter les pistes critiques dérivées du sujet. Ainsi Ji Ji répond-il au rêve de Peter Pan par le cauchemar de l’enfant gâté à la botte du capitalisme, tandis que Grégoire Bourdeil met en scène dans la bande-annonce d’un « film qui n’existe pas » le saut dans le vide de Wendy, tel un plongeon dans le guet-apens des simulacres. Les Mickey Mouse disséqués par Illanes, à deux pas du Disney Store des Champs-Élysées, donne l’argument le plus convaincant de cette dénonciation du pouvoir idéologique et commercial de l’imaginaire. Mais c’est de loin les ressorts philosophiques du conte qu’exploitent les artistes en illustrant l’ambivalence du souhait de Peter Pan, l’enfant qui ne voulait pas grandir : un rêve d’adulte ; tous les enfants veulent grandir, et le plus vite possible. 

Peter est la créature de l’humeur nostalgique des adultes et de l’angoisse de leur finitude. Ainsi le temps s’immisce-t-il dans ce parcours merveilleux par un tic-tac aussi entêtant qu’un réveil dans un estomac de crocodile, celui qui transforme Wendy en vieillarde (Melonie Foster Hennessy, Qui a le temps de grandir ?). Et la mort rôde, elle est notre ombre sur l’écran qui montre des enfants comptant les pièces d’un trésor, butin rêvé mais trouvé, comme s’ils examinaient les reliques de leur imaginaire (Arnaud Kalos). Impossible d’y échapper enfin, la mort nous encercle dans le couloir aux murs recouverts des dessins de Jérôme Zonder. Dans cette histoire-là, on marche sur des cadavres, une histoire que tout le monde connaît. À la question liminaire, la réponse serait vieille comme un tableau de Philippe de Champaigne : l’essence de l’art (et le sens de la vie) se résume par la sentence irrévocable (et inacceptable) que détourne ainsi Laurent Pernot dans un néon : « Vous ne mourrez jamais. »

QUI ES-TU PETER ?,

jusqu’au 9 janvier 2011, Espace culturel Louis Vuitton, 60, rue Bassano, 750087 Paris, tél. 01 53 57 52 03, www.louisvuitton.com/espaceculturel, du lundi au samedi 12h-19h, 11h-19h le dimanche.

-Commissaires de l’exposition : Joanna Chevalier et Hervé Mikaeloff
-Nombre d’artistes : 13

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°335 du 19 novembre 2010, avec le titre suivant : Les enfants perdus

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