Nîmes

Les allégories de Baldessari

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 4 novembre 2005 - 765 mots

Le Carré d’Art consacre une rétrospective à cette figure majeure de la scène conceptuelle californienne.

 NÎMES - N’en déplaise à ceux qui veulent voir dans l’art conceptuel je ne sais quel symptôme de dessèchement de l’art, la rétrospective John Baldessari du Carré d’Art à Nîmes (Gard) manifeste la vigueur et la richesse tant plastique que réflexive d’une figure majeure de la scène conceptuelle californienne. Si l’artiste n’est pas inconnu en France (il y est régulièrement exposé et collectionné), son travail prend toute sa consistance avec le parcours nîmois. Le visiteur y suit un fil de cohérence et d’esprit qui court depuis les peintures du tout début des années 1960 (Bird, huile sur papier sur panneau, 1962), retrouvées malgré la décision prise en 1970 de mettre le feu à la production peinte dans un geste qui fait œuvre – Cremation Project, composé d’une plaque de bronze, d’une urne et de documents – jusqu’au tout récent tableau associant de manière très reconnaissable (très baldessarienne !) photographie et peinture – Blockage (yellow) : with Person (black) and Hippopotami (blue and red), 2005. Avec la complicité de l’artiste, la commissaire invitée, Marie de Brugerolle, propose un accrochage juste, sans effets, laissant la part belle aux premières années de travail. Celles où Baldessari élargit la pratique de la peinture (elle demeurera un langage essentiel dans toute l’œuvre) vers les procédures souvent joueuses qui touchent à l’action, à la photographie, au film et à la vidéo ; et encore au texte et au livre, bien qu’ils soient peu présents dans l’exposition.

Décentrage géographique
Les premières salles présentent des peintures, comme les Commissioned Paintings de 1969, les documentations et autres panneaux d’assemblages photo qui rendent compte d’expériences autour, notamment, de l’enseignement de l’art ou du travail du dessin, et encore une sélection consistante de films et vidéos. La seconde partie de l’accrochage réunit des œuvres – tableaux composites et groupes – nourries d’images généralement d’origine cinématographique (tirées du stock réuni par l’artiste de photogrammes et autres photos de plateau ou de promo, sous-produits de l’industrie de Hollywood) et retrace par des pièces souvent magistrales la production des années 1980 à aujourd’hui. L’exposition précise cet univers qui emprunte aux clichés du cinéma, à la combinaison des images et à l’intervention écrite et graphique pour produire un regard réflexif sur l’imaginaire contemporain : symbolisme des personnages, fétichisme des objets et figures (armes, baisers, scènes violentes ou menaçantes), Baldessari joue de ces poncifs avec légèreté, malgré la tension souvent de mise dans les images qu’il choisit, sans jugement moral ni ironie sur celles-ci. Avec les choix et associations qu’il produit par montage comme avec les déconstructions par fragmentation, appuyées par son sens du détail, du collage, de la superposition, du masquage et de l’occultation, il met son spectateur dans la double perception des intensités narratives propres aux images choisies et d’une distanciation – mais non de quelque dénonciation. C’est cette très fine double lecture, cette manière de laisser ouverte la saisie à plusieurs degrés des images et compositions, qui caractérise le ton très sensible de l’artiste, souvent jubilatoire. Une manière de légèreté (Robert Storr développe cette idée dans le catalogue) qui est dite encore par une constante dans les choix d’images et de composition : objets et personnages sont souvent en équilibre ou suspendus dans le vide, inscrits dans un espace abstrait qui les porte au registre du symbole plus que de l’anecdote. Ainsi ancré dans la culture visuelle contemporaine, le travail n’en est pas moins méticuleux, conceptuel en ce qu’il en appelle aux formes du langage et au développement par programme, pour produire des allégories graves et facétieuses.
Baldessari a fait du décentrage géographique de la Californie un avantage, même quand Kosuth, le New-Yorkais, le renvoie à sa province dans les années 1960. Né à National City en 1931 et vivant à Santa Monica, il enseigne depuis 1970, en particulier au California Institute of Arts (CalArts) de Los Angeles, formant entre autres Robert Longo, Matt Mullican, Mike Kelley, Cindy Sherman ou Gary Simmons. Il nourrit des relations avec beaucoup d’artistes de générations et de pratiques très différentes, comme en témoignent les entretiens publiés dans le catalogue coédité par le Carré d’Art et les éditions de l’Ensba : sa personnalité généreuse y est sans doute pour quelque chose, mais aussi la capacité de son travail à avoir, bien avant beaucoup, abordé et transformé le paradigme cinématographique comme territoire actif pour l’art.

JOHN BALDESSARI, FROM LIFE

Jusqu’au 8 janvier 2006, Carré d’Art-Musée d’art contemporain, place de la Maison-Carrée, 30031 Nîmes, tél. 04 66 76 35 70, tlj sauf lundi, 10h-18h. Catalogue, éditions Carré d’Art/Ensba, 160 p., 35 euros.

JOHN BALDESSARI, FROM LIFE

- Commissaire invitée : Marie de Brugerolle - Nombre de pièces : 47 œuvres et 18 films ou vidéos - Surface d’exposition : 1 000 m2 - Nombre de salles : 6 (dont une installation vidéo) 2 salles de projection

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°224 du 4 novembre 2005, avec le titre suivant : Les allégories de Baldessari

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