Rétrospective

« Le plein emploi » sur un plateau

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 16 décembre 2005 - 663 mots

Xavier Veilhan installe son univers décalé au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg.

 STRASBOURG - L’atmosphère du « Plein emploi », l’exposition personnelle de Xavier Veilhan au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, tient autant du Muséum d’histoire naturelle que du plateau de tournage, du jeu vidéo préhistorique que des pages d’une encyclopédie high-tech…
Cette rétrospective aurait pu remplir sagement l’espace cloisonné dévolu aux expositions temporaires. Xavier Veilhan aurait pu se le permettre, sa production depuis le début des années 1990 étant suffisamment importante. Le « Plein emploi » s’offre au contraire dans une économie esthétique et l’artiste a préféré soigner sa scénographie, supprimer les cimaises et laisser respirer l’espace. Il s’est ainsi accordé l’étendue d’un immense plateau, dont le dispositif interroge l’histoire des expositions. D’une zone à l’autre, le visiteur passe par différents niveaux de sol. Résultat : quel que soit l’endroit depuis lequel on regarde, les perspectives sont imprenables. Entre artisanat et technologie de pointe, les questions de progrès et d’ingénierie traversent chaque fois ces créations aussi pop que minimales.
D’emblée, le visiteur retrouve les formes rebondies et généreuses de son Rhinocéros (1999) rouge qui brille comme une carrosserie. Une sculpture devenue plus que jamais l’emblème de l’artiste, une image générique et familière.
Le parcours n’est pas fléché. À chacun d’organiser sa propre expérience de la vision selon son acuité et ses désirs. D’évidence, le myope n’aura pas les mêmes options dans cette aventure que l’astigmate ou le daltonien. Et pour cause, tout est ici question de perception, de profondeur d’espace, de vision et de mouvement. Certains feront naturellement passer le studio d’enregistrement au premier plan et iront même y jouer un rôle, celui de chanteur ou d’ingénieur du son. D’autres préféreront se pencher sur une vue du pont Charles-de-Gaulle ou se coller à la petite représentation parallélépipédique d’un arbre à quatre faces : une tentative de représentation de la 3D par la peinture. D’autres encore s’attacheront aux mobiles noirs à l’allure cosmique plutôt qu’aux sculptures de polystyrène, dont l’échelle variable ajoute un palier à nos questionnements visuels. Ces « stéréo-lithographies » sont réalisées en 3D à partir de portraits scannés des proches de l’artiste. Présentées comme dans un jardin public, ces images transformées en sculpture sur socle renouent, par leur pose et leur blancheur, avec la statuaire.

Ours bienveillants
Plus loin, le visiteur peut choisir de se laisser encadrer par trois œuvres bidimensionnelles d’un autre monde : des photographies numériquement troublées dans lesquelles se jouent des scènes étranges. Comme ces ours en plein montage d’exposition qui prennent des airs de techniciens bienveillants alors qu’une sorte d’ingénieur en tenue de bain – l’artiste lui-même – les guide dans leur entreprise. Une mise en abîme anthropomorphique ?
Après l’espace, la notion de temps entre en jeu. Une pièce ambitieuse que l’artiste a spécialement produite pour l’occasion vient surprendre le visiteur en lançant brusquement : « Coucou ! » Rien à voir avec le petit « coucou » des foyers rustiques qui timidement vient scander les heures qui passent. Ce coucou-là en est la version pop, moderne et amplifiée puisque l’artiste en a repris le mécanisme. Un savant système métallique et coloré de rouages et de poulies s’enclenche et fait passer une boule d’acier d’un bout à l’autre de la machinerie. Formellement, on pense à un nouvel hommage aux Mobiles de Calder ou à la version circulaire d’un tableau de Mondrian.
Un premier plan, un deuxième, un troisième, des premiers rôles cachés en toile de fond…, tout est une question de points de vue, et l’exposition « Le plein emploi » se présente comme une succession de séquences à recomposer visuellement au gré des déambulations. Un conglomérat de maquettes à habiter et à vivre au rythme des plans-séquences… comme au cinéma.

XAVIER VEILHAN, LE PLEIN EMPLOI

Jusqu’au 16 avril 2006, Musée d’art moderne et contemporain, 1, place Hans-Jean-Arp, 67000 Strasbourg, tél. 03 88 23 31 31, tlj sauf lundi, 11h-19h, jeudi 12h-22h, dimanche 10h-18h. Catalogue, environ 192 p., env. 39 euros (à paraître).

XAVIER VEILHAN

- Commissaire de l’exposition : Patrick Javault - Nombre d’œuvres exposées : 12

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°227 du 16 décembre 2005, avec le titre suivant : « Le plein emploi » sur un plateau

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