Rétrospective

Le monde fantastique de Colani

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 30 juillet 2007 - 735 mots

Le designer, âgé aujourd’hui de près de 80 ans, s’est largement inspiré des formes
organiques. Parcours de Berlin à Karlsruhe, en passant par Tokyo et Berne.

 Londres - Dans l’histoire du design du XXe siècle, Luigi Colani passe un peu pour l’original de service. Le dossier de presse de l’exposition que lui consacre le Design Museum de Londres, intitulée « Translating Nature » [« Traduire la nature »], le présente d’ailleurs comme l’un des grands Mavericks, mot anglais difficilement traduisible en français dans sa substance, mais dont la définition la plus plausible serait « non-conformiste ». Bref, Colani est un ovni qui n’a eu de cesse de poursuivre ses recherches sans dévier d’un pouce sa trajectoire : « Jamais, dans ma vie, je n’ai conçu un projet dans l’optique d’une production commerciale », a-t-il dit un jour. La phrase s’affiche en exergue sur un mur, au cœur de cette vaste rétrospective découpée en cinq volets : « Le Roi des Customisers », « Traduire la nature », « Eau », « Colani et le Japon », enfin, « Une passion pour la vitesse ».
L’exposition met en lumière une poignée de dates et de lieux très précis scandent le parcours professionnel du designer allemand. 1947, Paris : Colani a tout juste 19 ans qu’il est déjà à l’œuvre en tant qu’illustrateur et styliste pour des agences de publicité. Il crayonne alors ses premières silhouettes de voitures de course pour des constructeurs automobiles, puis des motos et des avions. Ces premières esquisses, ici montrées, sont signées « Lu.Co. ». Nous sommes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et l’apprenti-designer lorgne déjà vers les technologies nouvelles, en particulier les plastiques. 1955, Berlin : de retour dans sa ville natale, Colani travaille notamment pour Alfa Romeo et BMW. À partir d’un châssis de Coccinelle (Volkswagen), il produit différentes silhouettes en plastique, sorte de kits à monter soi-même. Il conçoit aussi des pièces pour la maison tel le service en porcelaine Drop Tea Set (Rosenthal) ou cette étonnante cuisine sphérique, genre capsule spatiale. 1972, Château de Harkotten (Allemagne) : c’est là que Colani ouvre son premier grand atelier. S’y créent, entre autres, le siège Zocker (Burkhard Lübke), un téléviseur avec antenne télescopique intégrée dans la poignée, un équipement complet pour le saut à ski, ou encore, pour la firme Thyssen, un projet de train à lévitation magnétique pour la ligne à grande vitesse Hambourg-Munich. 1981, Tokyo : la bulle économique japonaise est au plus haut et Colani est appelé par plusieurs grands groupes du pays. Il dessine des concepts cars pour Mazda et des avions pour la Japan Airlines, restés dans les cartons.
En revanche, Sony commercialise le MDR-AGO, un casque stéréo à l’allure d’insecte, et Canon une série d’appareils-photo ergonomiques, dont le célèbre T90, avec toutes les commandes intégrées dans la poignée. 1984, Berne : de retour en Europe, Colani s’installe en Suisse, explore l’interface entre l’homme et la machine et se tourne vers l’Union soviétique, pays pour lequel il imagine une locomotive aérodynamique pour la ligne à grande vitesse Baïkal-Amur. Enfin 2001, Karlsruhe : retour en Allemagne où Colani ouvre un vaste atelier duquel sort cette étrange limousine en livrée sombre ici exposée, sorte de « Batmobile » enflée à la Erwin Wurm.
Davantage que ces écrans projetant des images de fonds marins en 3D ou que cette grotesque raie manta en plastique accrochée au-dessus de sa tête, le visiteur trouvera dans les illustrations du livre du zoologiste Ernst Haeckel (Die Kunstformen der Natur, 1902) moult formes organiques qui ont influencé Colani, en particulier celles issues du monde sous-marin : flore, coquillage, poisson, poulpe… Pas étonnant alors si ce vélo de course a le profil d’une vertèbre et ce haut-parleur celui de la structure interne de l’oreille. Ou si cet avion Super Jumbo Aircraft s’inspire du requin mégalodon et ce yacht d’une baleine. Ne pas croire pour autant que Colani n’est qu’un doux rêveur. Certes, son aile volante Single Wing Aircraft (2006) ressemble effectivement à une raie, mais elle n’est cependant pas si éloignée du projet d’avion silencieux SAX-40 sur lequel planchent actuellement des chercheurs de l’université de Cambridge (Royaume-Uni) pour le compte de la firme Boeing.
Aujourd’hui, à près de 80 ans – il est né le 2 août 1928 à Berlin –, Colani persiste à inventer, dans son antre de Karlsruhe, ce monde fantastique qui lui échappe tant. On ne se refait pas.

LUIGI COLANI, TRANSLATING NATURE

- Commissaire de l’exposition : Dr Albrecht Bangert - Commissariat au Design Museum : Donna Loveday - Scénographie : Nigel Coates - Graphisme : Studio Myerscough - Nombre de sections : 5

sLUIGI COLANI, TRANSLATING NATURE

Jusqu’au 17 juin, Design Museum, Shad Thames, Londres, tél. 44 870 833 9955, www.designmuseum.org, tlj 10h-17h45.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°260 du 25 mai 2007, avec le titre suivant : Le monde fantastique de Colani

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