Le mobilier XVIIIe, le miroir du Siècle des lumières

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 16 décembre 2014 - 1456 mots

Exceptionnelle par son nombre de chefs-d’œuvre, l’exposition sur le « XVIIIe aux sources du design » brosse en creux le portrait de la bonne société du Siècle des Lumières, entre plaisir et surenchère décorative.

Le fastueux mobilier français du XVIIIe siècle nous éclaire autant sur le savoir-faire des artistes et artisans d’alors que sur le mode de vie et les aspirations de la société. Le Siècle des Lumières se construit en profonde réaction au climat pesant et austère de la fin du règne de Louis XIV. La cour souhaite rompre avec la rigidité de l’étiquette et la solennité outrancière du Grand Siècle. Le mobilier du Roi-Soleil d’aspect massif et très architecturé est délaissé au profit de meubles plus petits et légers, tant dans leur décor que dans leur structure. Cette évolution accompagne une nouvelle conception de l’architecture intérieure. Les appartements sont agencés en salles à taille plus humaine et dédiées à de nouvelles fonctions, dessinant une frontière entre espace public et privé.

La quête de l’intimité

Cette transformation entraîne une diversification formelle sans précédent. D’une quinzaine de types de meubles identifiée à la fin du XVIIe siècle, on culmine à une centaine au seuil de la Révolution. Les salons confortables et intimistes où l’on se réunit pour discuter d’idées nouvelles, se détendre et bien sûr jouer, se multiplient. Leur essor coïncide avec l’invention de meubles répondant à de nouveaux usages : une multitude de petites tables à jeux, de commodes, mais aussi de sièges plus cosy et maniables. Parallèlement aux salons, les boudoirs et cabinets deviennent également des pièces incontournables. Car si l’époque est placée sous le signe de la convivialité, elle marque aussi l’affirmation de l’individu. On aime se retirer de l’apparat, de la représentation, et s’isoler notamment pour lire et écrire. La vogue épistolaire tout comme la mode des mémoires et journaux rythment le quotidien d’une partie des courtisans. Le secrétaire et la table à écrire sont alors conçus pour répondre à cette aspiration. Ces pièces qui appartiennent à la sphère de l’intime présentent souvent un décor frais et délicat comme le Secrétaire en pente de madame de Pompadour, attribué à Adrien Faizelot Delorme. Un objet charmant sur lequel on imagine fort bien la favorite de Louis XV coucher sur le papier ses sentiments.

Originalité et luxe

La cour et la grande aristocratie vouent un véritable culte au raffinement et au luxe. Cette clientèle privilégiée rivalise pour posséder les pièces les plus somptueuses mais aussi les plus originales. Elle y est notamment encouragée par les marchands merciers, précurseurs de la décoration d’intérieur, qui vendent et conçoivent des objets tout en lançant modes et tendances. Même les meubles les plus usuels deviennent le support de toutes les extravagances. La commode, où l’on range entre autres des garnitures de fauteuils et des accessoires, se pare ainsi de toutes sortes de placages, des plus précieux aux plus insolites. Il faut montrer non seulement sa richesse, mais aussi son goût et son audace. L’engouement pour l’exotisme, et particulièrement les chinoiseries, s’y manifeste de manière éclatante. Considérée comme le premier meuble intégrant des laques du Japon, la Commode de Marie Leszczynska de Bernard Van Riesen Burgh (B.V.R.B.) témoigne de cette fascination pour l’Extrême-Orient. Ce modèle devient rapidement un must. Innovation et surprise sont par ailleurs les maîtres mots de l’époque. Alors que le mobilier est intrinsèquement synonyme de bois, on cherche à y introduire des matériaux de plus en plus inusités. Outre les essences rares et exotiques, les meubles se parent donc de vernis, d’écaille de nacre, de bronze, de laiton, de plomb, de porcelaine, d’acier ou encore de marqueterie de pierre. Le goût de la polychromie incite les créateurs à une inventivité sans bornes. B.V.R.B signe ainsi une pièce exceptionnelle : la Commode de Mademoiselle de Sens. Un chef-d’œuvre couvert de quatre-vingt-dix plaques de porcelaine de Sèvres serties dans un réseau de bronze doré, et muni de ventaux s’ouvrant en zigzag.

Dans cette recherche d’originalité et de variété, la préciosité n’est pas la seule voie adoptée par les artistes. L’utilisation de matériaux inhabituels est aussi dans l’ère du temps. En témoigne la Commode en tôle vernie de Marie-Antoinette de Pierre Macret. Une pièce rare qui souligne l’esprit curieux de la jeune dauphine et son intérêt déjà très affirmé pour la mode. Ce goût pour la variation et pour la mode ne semble alors pas connaître de limites. Dans l’univers de la menuiserie, l’invention du siège à châssis amovibles marque une petite révolution. Il permet effectivement de changer à l’envi la garniture d’étoffe. Bref de customiser le mobilier selon le goût, la saison ou encore l’occasion.

Confort et ergonomie
Si la société est avide de luxe et de nouveauté, elle est également animée par la recherche du confort. Des formes extrêmement fonctionnelles et ergonomiques, toujours d’actualité, apparaissent. Elles ont comme point commun le souci du bien-être, une préoccupation qui se manifeste tout particulièrement dans l’évolution du siège. On abandonne les fauteuils rigides semblables à des trônes pour s’asseoir confortablement sur d’épaisses garnitures qui épousent le corps. Des formes dédiées à la détente voient le jour comme la bergère, fauteuil de repos large et bas adapté aux robes à panier qui font alors fureur. Les modèles préexistants connaissent quant à eux une évolution décisive. Le Fauteuil de Louis Cresson synthétise ces différentes transformations. Pourvu d’un haut dossier permettant d’y appuyer la tête, il offre une assise basse et profonde tandis que ses larges accotoirs sont en retrait par rapport aux pieds antérieurs.

Un mobilier intelligent
S’il est une caractéristique indissociable du siècle des encyclopédistes, c’est bien la passion pour les sciences et l’innovation. Ce contexte d’émulation intellectuelle explique l’essor des meubles à transformations ; catégorie dont Jean-François Oeben s’est fait une spécialité. L’une de ses réalisations les plus spectaculaires est sans conteste la très ingénieuse Table à la Bourgogne. Ce meuble conjugue une demi-commode munie d’un casier et de tiroirs, une table d’en-cas et un secrétaire. Elle abrite en outre une bibliothèque, une table de lit pliante et même un prie-dieu. La bibliothèque peut apparaître et disparaître grâce à une manivelle et l’ouverture des différents éléments requiert une connaissance parfaite des secrets du meuble. Cette notion de coffre-fort culmine dans l’une des pièces les plus célèbres d’Oeben : le Bureau du Roi. Secrétaire à cylindre destiné au cabinet intérieur de Louis XV à Versailles, il a été commandé par le monarque pour pouvoir écrire en toute discrétion et dissimuler son courrier. Une clef unique permet d’ouvrir et de débloquer les nombreux éléments qui composent le meuble. Une merveille de mécanique à l’aura sulfureuse car, en découvrant ses nombreuses cachettes secrètes, il est difficile de ne pas penser qu’elles ont pu abriter des lettres enflammées des nombreuses maîtresses que fréquentait ce grand libertin.

Vitrine de l’excellence

Certains meubles détonnent par leur surenchère décorative. Le Fauteuil de Nicolas-Quinibert Foliot est de cette trempe. Extrêmement élaboré, sculpté presque à l’excès, il est garni de velours de soie cramoisi recouvert d’argent doré. Il condense en une seule pièce tout le savoir-faire français. Rien d’anodin dans ce choix puisqu’il fait partie d’un vaste ensemble commandé par la duchesse de Parme, fille aînée de Louis XV, pour son palais italien. Un produit d’exportation qui devait servir de vitrine à la maestria française ; une promotion du made in France avant la lettre.

Une exposition que l’on ne voit qu’une fois dans sa vie !

Le château de Versailles fait revivre l’apogée du mobilier français dans une exposition d’anthologie. Cela fait en effet plus d’un demi-siècle que la France n’a pas consacré de manifestation aussi vaste et exhaustive à l’ébénisterie et à la menuiserie du XVIIIe siècle. Un rassemblement unique d’une centaine de pièces qui sont presque toutes des chefs-d’œuvre atemporels. Le parcours réunit des objets issus pour moitié de collections privées, dont des pièces jamais présentées au public et connues des spécialistes uniquement par des reproductions livresques. D’autres, sans être inédites, n’ont été que très rarement exposées et constituent des pièces cultes comme le Secrétaire en pente de Madame Élisabeth à Fontainebleau de Riesener, la Commode de Mademoiselle de Sens de B.V.R.B., ou encore la Bibliothèque basse de Gaudreaux et Riesener. En outre, si les pièces provenant de musées sont essentiellement conservées en France, quelques fleurons d’institutions étrangères ont également fait le voyage, à l’instar de la superbe Armoire d’angle de Cressent du Getty Museum de Los Angeles. Autant de pièces magnifiques que l’on admire dans une scénographie novatrice. Les meubles sont en effet présentés légèrement surélevés, et sortis de leur contexte décoratif. Seul bémol : l’accrochage, qui part pourtant d’une idée intéressante puisqu’il entend démontrer le caractère profondément moderne de ce mobilier, est un peu brouillé par les commentaires de Jean Nouvel. Commentaires, dont on ne saisit pas la nécessité tant les œuvres somptueuses se suffisent à elles-mêmes.

« XVIIIe siècle, aux sources du design. Chefs-d’oeuvre du mobilier de 1650 à 1790 »

Jusqu’au 22 février. Château de Versailles. Ouvert du mardi au dimanche de 9 h à 17 h 30. Tarifs : 15 et 13 € (billet château). Commissaires : Daniel Alcouffe, Yves Carlier, Patrick Hourcade, Patrick Lemasson, Gérard Mabille. www.chateauversaille.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°675 du 1 janvier 2015, avec le titre suivant : Le mobilier XVIIIe, le miroir du Siècle des lumières

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