Art contemporain - Numérique

Le crypto art nouvel eldorado des collectionneurs ?

Par Stéphanie Lemoine · L'ŒIL

Le 2 mars 2021 - 574 mots

Marché De L’art -  Cela commence par un mail d’Albertine Meunier. Elle nous invite à voir l’exposition collective « De la tulipe à la crypto marguerite », qui se tient jusqu’au 20 mars à l’Avant Galerie Vossen, à Paris.

L’artiste, cofondatrice du collectif DataDada et autrice de deux tomes égrenant l’historique de ses requêtes sur le moteur de recherche américain (MyGoogle Search History, L’air de rien), voudrait nous parler de crypto art. L’exposition à laquelle elle nous convie semble, à première vue, obéir aux conventions de tout accrochage. On y trouve de la peinture, de la sculpture, de la photographie, des néons et quelques écrans. Les fleurs, et particulièrement les tulipes, en sont le fil conducteur : celles en cire de Mona Oren, celle en métal de Denis Monfleur ou celles d’Anna Ridler, entièrement créées par une intelligence artificielle à partir d’un vaste corpus de photographies prises par l’artiste. Puis Albertine Meunier nous guide, au fond de la galerie, vers une poignée de petits écrans. Ils diffusent des GIF animés ou des images statiques, dont les auteurs s’appellent Allbi, Bananakin ou LuluxXX. Inconnus du grand public et du monde de l’art, ces derniers figurent parmi les « stars » du crypto art. « Le crypto art n’est pas une esthétique », explique Albertine Meunier. Tout au plus peut-on y déceler quelques invariants : il est numérique, fait pour les écrans, même s’il se matérialise parfois. D’ailleurs, il évoque ces « mêmes » caractéristiques de l’esthétique digitale et il a ses mascottes, parmi lesquelles Pepe the Frog, personnage de bande dessinée devenu viral. Il est généralement coloré et déroutant de kitch, mais il est parfois abstrait, minimal, surréaliste, conceptuel ou cyberpunk. Il peut être vendu sous forme d’exemplaire unique, mais consiste le plus souvent en de petites séries numérotées. Signe distinctif : on l’acquiert au moyen de cryptomonnaies, Ethereums ou Bitcoins, d’où son nom. Sans style particulier, le crypto art se caractérise en effet par son mode de circulation. Il est indissociable de la blockchain, qui permet de stocker et de transmettre des informations de manière sécurisée et transparente, sans passer par un organe central de contrôle. Cette technologie rend ainsi possible l’acquisition d’œuvres uniques ou d’éditions, sans que leur diffusion en ligne n’affecte leur rareté : des « jetons » non fongibles, dénommés NFT (non-fungible token), viennent authentifier l’œuvre et rendent infalsifiable et transparente toute information la concernant. De quoi favoriser l’émergence d’un marché de l’art où la spéculation est double, puisqu’elle porte aussi bien sur la signature de l’artiste que sur le cours des cryptomonnaies. Ce marché est aujourd’hui en pleine expansion. Le crypto art a ses communautés, ses artistes phares, ses collectionneurs, ses plateformes de diffusion et ses records de vente. Il fascine d’autant plus qu’il se déploie dans une relative indifférence des acteurs classiques du monde de l’art, galeries et salles des ventes en tête. Ces dernières commencent pourtant à en percevoir le potentiel : le 7 octobre 2020, Christie’s adjugeait Block 21, son premier NFT, 131 250 dollars (environ 100 000 euros), soit dix fois son estimation. Un record en forme de signal faible ? Ben Gentilli, auteur de l’œuvre, voit dans le crypto art une révolution comparable à la Renaissance. Mais la tulipe dont il est question dans l’exposition suggère : au XVIIe siècle, l’engouement des Hollandais pour cette fleur à bulbe entraînait la formation d’une bulle spéculative, puis un effondrement des cours. De signe ostentatoire de richesse, la tulipe devint alors un motif pictural présent dans bien des vanités...

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°742 du 1 mars 2021, avec le titre suivant : Le crypto art nouvel eldorado des collectionneurs ?

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