Les Ateliers de Rennes

L’artiste en futurologue

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 11 mai 2010 - 792 mots

Sur fond de crise, la deuxième Biennale de Rennes fait ses pronostics sur l’avenir.
En invitant une cinquantaine d’artistes, elle multiplie les angles d’approche.

RENNES - « Ce qui vient » arrive à toute vitesse, nous tombe dessus telle une crise financière, une épidémie ou un nuage volcanique. L’expression n’a jamais eu un tel caractère d’urgence, ni d’incertitude ; elle sonne comme une effroyable menace, quand d’aucuns prédisent la fin du monde dans deux ans ! « Penser ce qui vient. Le faut-il et comment faire ? » s’interrogeait Jacques Derrida (1), à quoi la deuxième édition de la Biennale de Rennes répond sur le mode dissertatif. En invitant une cinquantaine d’artistes à se pencher sur l’embarrassante question, les Ateliers de Rennes multiplient les angles d’approche du futur.

Le thème, né dans la tempête boursière, est sous-tendu par un postulat optimiste, celui de voir se dessiner, dans l’impasse, des modèles dominant « la possibilité d’un changement de paradigme », selon la commissaire Raphaële Jeune. Aux artistes alors de s’emparer de cette révolution sociale ? Si l’appel à contribution repose la question de l’efficacité de l’art, beaucoup la laissent de côté pour passer à l’action. Le Sénégalais Kan-Si se félicite que « les artistes s’engagent sur les sentiers de la réflexion prospective » et propose aux visiteurs du Couvent des Jacobins un espace d’expression sur le problème du développement de l’Afrique.

Le collectif Bureau d’études, connu pour ses cartographies des systèmes contemporains, saute lui aussi de la théorie à la pratique en organisant des workshops de « design animique » visant « le développement des forces de l’âme par la fabrication et par l’utilisation de l’objet produit ».

Chacun y va de sa solution locale au problème global, avec une prédisposition certaine pour la création collective ou le débat ouvert. Ainsi, Yona Friedman propose-t-il aux habitants de fournir la collection de son Musée du XXIe siècle (au Musée des beaux-arts) et Thomas Hirschhorn aux résidents d’un quartier défavorisé de prendre part à son Théâtre précaire (parking du Gros-Chêne). Avec La Tajmaât de Djamel Kokene, espace de discussion citoyen, semble émerger la figure de l’artiste en coordinateur de sociabilité – pour ne pas dire coach, là où l’individualisme et l’abstention démocratique tendent plutôt à se durcir…

Se faire peur
D’autres n’ont pas résisté à la tentation de jouer à se faire peur en surfant sur le thème de la science-fiction, et ce avec bonheur, comme Jocelyn Cottencin et son Journal d’anticipation, qui prédit un État global après le deuxième Grenelle de l’environnement. Laurent Duthion, qui concoctait son buffet transparent pour le soir du vernissage, convie à un autre voyage futuriste dans son nouveau testament, réécrit à la sauce roman d’anticipation (Transsubstantiation). Marie Velardi conjugue elle aussi avec subtilité le futur antérieur dans sa frise du XIXe siècle picorée dans la culture S.F., indiquant par exemple qu’en 2001 l’homme voyage couramment dans l’espace.

Les temps se superposent et s’entremêlent dans le couvent où demeurent les tranchées d’une fouille archéologique. Ici, les noms des Rennais vivants sont gravés dans le béton (Société réaliste), là des sentences nous parviennent du futur : « Youtube was a video sharing website… » (Simona Denicolai et Ivo Provoost).

Envisager un avenir pour notre passé revient à penser le présent. Rien de plus difficile à en juger la schizophrénie moléculaire de l’ampoule Double insu de Berdaguer & Péjus, mêlant une substance qui ralentit la perception du temps et une autre qui l’accélère. Plutôt qu’un instant précaire entre passé et futur, le présent serait une temporalité « arpentable » pour elle-même, à l’exemple du prodigieux escalier infini de Michel de Broin. Or, marcher sans but voilà qui s’oppose aux lois de la prospective et du calcul systématique des risques qui contraignent chaque fait et geste, et dont Julien Prévieux décrit les méandres sur un schéma prométhéen.

Le risque zéro serait la nouvelle conquête de l’Ouest ? Davide Balula joue les alchimistes pour « diluer les coïncidences » en effaçant les chiffres sur les dés. « Le futur doit être dangereux », rappelle alors Dora Garcia. À La Criée (Centre d’art contemporain), Damien Marchal expose le visiteur à son goût du risque et sa capacité d’agir en détournant les codes de la participation. Seule œuvre à aborder la question du terrorisme – et de manière virtuose –, elle attise la tentation de tout faire sauter.


CE QUI VIENT, LES ATELIERS DE RENNES, jusqu’au 18 juillet, Couvent des Jacobins (mais aussi dans l’espace public et sept lieux partenaires), 4, rue d’Échange, 35000 Rennes, tél. 02 99 87 25 45, www.lesateliersderennes.fr, tlj sauf lundi 12h-20h, mercredi 12h-22h. Cat., éd. Les Presses du Réel, 30 euros

(1) Sous la dir. de René Major, Derrida pour les temps à venir, éd. Stock, coll. « L’autre pensée », 2007

CE QUI VIENT

Commissariat général : Raphaële Jeune (Art to be)

Nombre d’artistes : 47

Nombre de sites : 8 espace public

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°325 du 14 mai 2010, avec le titre suivant : L’artiste en futurologue

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