Maître

La peinture en tension constante

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 13 février 2008 - 728 mots

Alors que la galerie Marian Goodman montre à Paris ses récents travaux abstraits, le Museum Frieder-Burda, à Baden-Baden, consacre une magistrale exposition à Gerhard Richter.

BADEN-BADEN, PARIS - L’œil est assurément sûr, très sûr même. Invité par le Museum Frieder-Burda, à Baden-Baden, en Allemagne, Gerhard Richter a conçu l’accrochage des soixante peintures qui composent une exposition couvrant la période 1963-2007. Le résultat fait montre d’une maîtrise constante – dans un processus pourtant d’une inventivité permanente –, et de sa capacité à la rendre perceptible.
Propriétaire de quelque cinquante pièces du maître allemand – tableaux, photographies, dessins –, Frieder Burda a souhaité lui consacrer une exposition retraçant presque toutes les époques de sa production. Une véritable rétrospective étant inenvisageable, au vu des plus de 2 700 numéros que comprend le catalogue, il s’est associé aux collections Böckmann (Berlin) et Ströher (Darmstadt), ainsi qu’à quelques autres prêteurs demeurés anonymes, afin d’orchestrer un assemblage cohérent.
L’ensemble donne à voir des pièces rares, car toutes en main privée, et parfois inattendues. Ainsi de cette vue du Château de Neuschwanstein (1963), numéro 8 au catalogue raisonné, où la bâtisse n’est qu’une ébauche tandis que les lignes tracées pour la composition demeurent apparentes. Ou encore de cette Konstruktion (1976) : une surface lisse mais solidement architecturée sur laquelle apparaissent, bien que timidement, les premières traces de ces couleurs étalées avec une pièce de bois, un dispositif qui assurera la puissance et la singularité de ses tableaux abstraits. Ces Abstrakte Bilder [« Images abstraites] sont toujours portés par une rigoureuse organisation, faite de verticales et d’horizontales qui structurent la toile, avant que des recouvrements successifs l’animent. Denses, ceux-ci laissent constamment émerger des détails faits de traces, justes et parfois infimes, où jamais ne transpire l’excès.
Des œuvres récentes exposées au même moment à la galerie Marian Goodman, à Paris, rappellent que ce procédé est toujours source d’innovation, lorsqu’un Haggada (2006) se charge de lignes matiéristes combinées à des bandes rendues floues et lisses. Ou que la toile est parcourue par une énergie brute, proche du graffiti, à force de griffures à la surface (Netz ; Grau, 2006).

Prédominance de la couleur
Ce qui assure toute sa force à la présentation du Museum Burda, c’est la manière dont Richter a, avec précision et efficacité, mis en scène les multiples aspects de sa pratique. Nullement chronologique, l’accrochage engendre une tension permanente entre les œuvres. Tension qui trouve son point d’équilibre dans la variété des expériences – et la nécessité presque vitale de changer de point de vue afin de répondre aux exigences posées par la peinture elle-même – et la justesse de leurs confrontations.
Parmi ces juxtapositions de styles, la préoccupation pour la couleur éclate dans un espace où trois murs associent des pièces figuratives des années 1960 (ainsi le beau Zwei Fiat (1964), où la vitesse des voitures conduit à leur disparition) et un remarquable diptyque abstrait, dont une lagune semble émerger d’un fond qui voit le passage de l’ombre à la lumière (Canaletto, 1990). Le face-à-face paraît arbitré par des panneaux monochromes, des plaques d’aluminium recouvertes de coloris laqués, au lissé industriel (Achtzehn Farben, 1966-1992). Depuis ce point de vue s’affirme le goût pour la couleur qui procède par touches, par apparitions subtiles, et fait montre en outre d’une imparable logique dans la diversité la plus extrême.
Car se dessine une ligne de convergence entre les pièces. Comme une cohérence de la création portée par cette dynamique de la recherche et du changement, qui en maintenant cette tension constante garde l’attention en éveil. Morceau de bravoure de la présentation, la confrontation de la célébrissime chandelle photoréaliste (Kerze, 1982) avec une somptueuse Abstraktes Bild de 1988, où vert et jaune prédominent chromatiquement. De l’écoulement temporel et de la permanence de l’image, le regard glisse vers la fugacité d’une abstraction qui semble refuser de se figer, afin de produire un mouvement diffus et constant. Un œil sûr, une vision radicale, un regard en marche...

GERHARD RICHTER. TABLEAUX DE COLLECTIONS PRIVÉES, jusqu’au 27 avril, Museum Frieder-Burda, Lichtentaler Allee 8 b, Baden-Baden, Allemagne, tél. 49 7221-398980, www.museum-frieder-burda.de, tlj sauf lundi 11h-18h. Cat., coéd. Museum Frieder-Burda/Hatje Cantz, 184 p., en anglais, ISBN 978-3-7757-2137-3, 24 euros.
GERHARD RICHTER. ABSTRACT PAINTINGS, jusqu’au 1er mars, galerie Marian Goodman, 79, rue du Temple, 75003 Paris, tél. 01 48 04 70 52, www.mariangoodman.com, tlj sauf dimanche et lundi 11h-19h. Catalogue, 72 p., en anglais, 45 euros.

RICHTER À BADEN-BADEN

- Commissaire : Gerhard Richter
- Nombre d’œuvres : 60

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°275 du 15 février 2008, avec le titre suivant : La peinture en tension constante

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