Vidéo

La normalité et la crise

Aernout Mik s’installe au Jeu de paume, à Paris

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 15 mars 2011 - 597 mots

PARIS - Dans le monde d’Aernout Mik, rien ne semble plus tourner rond. Des individus s’agitent étrangement dans un parc public (Park, 2002) ; une rébellion se fait jour dans une cour d’école sans que l’on ne sache qui proteste et pourquoi (Schoolyard, 2009) ; un absurde et curieux ballet s’opère à l’endroit d’un filtre de sécurité dans un aéroport (Touch, Rise and Fall, 2008) ; à la Bourse, la salle des marchés semble avoir été soumise à un cataclysme et les cambistes hagards adoptent des attitudes irrationnelles (Middlemen, 2001)…

En collaboration avec le Musée Folkwang d’Essen, en Allemagne, et le Stedelijk Museum d’Amsterdam, aux Pays-Bas, le Jeu de paume, à Paris, propose un parcours fluide et limpide entre huit installations de l’artiste néerlandais qui a fait d’une pratique singulière de la vidéo sa marque de fabrique. Singulière par ses spécificités techniques tout d’abord. Des écrans placés très bas, et même posés à ras du sol, engendrent chez le visiteur une sensation d’implication physique et de proximité avec l’action en train de se jouer. Cette impression se trouve renforcée par le traitement infligé à une image très réaliste, aux contrastes légèrement accentués qui donnent l’illusion d’une volumétrie. Souvent les projections sont muettes, ce qui, ajouté à l’absence de narration linéaire, induit une implication particulière du regardeur. 

Portraits sociaux
Mais la singularité de l’œuvre de Mik tient aussi, et surtout, à la manière dont elle aborde avec une apparente légèreté nombre de questionnements à visée sociale. Plus que de descriptions et de représentations, il s’agit ici de constructions mentales au moyen d’images furtives, de souvenirs, de résidus, toujours et pour tous évocateurs, marquant par là le pouvoir des médias dans la formation d’une mémoire collective. Ainsi de Raw Footage (2006), double projection dont la particularité est d’être exclusivement composée de documents d’archives filmés par des agences de presse au cours du conflit en ex-Yougoslavie, dans les années 1990. Particulièrement réaliste puisque composée de documents bruts, l’installation ne délivre pourtant d’autre discours que les propos tenus par les protagonistes. Et l’absence de définition explicite du contexte n’empêche nullement les références à revenir immédiatement à l’esprit.

Les déséquilibres du monde sont abordés dans une constante dualité entre ordre et chaos, comme dans Osmosis and Excess (2005), filmé à Tijuana, au Mexique. Sur un écran panoramique, la caméra passe d’une pharmacie où l’impressionnante organisation des empilements de boîtes est contredite par la boue envahissante qui jonche le sol, à, autre site paradoxal, un cimetière de voitures géant dont on peine à croire qu’il est vrai.

Chez Mik, c’est bel et bien le collectif qui importe – où souvent est mise en exergue la posture de la protestation –, à travers ses études de la distance ou de la proximité relationnelle existant entre les individus ; soit le collectif comme outil de compréhension du monde et des forces qui l’animent. Fascinante est à cet égard la dernière œuvre du vidéaste, Shifting Sitting (2011), où trois écrans donnent à voir un possible procès de Silvio Berlusconi. Un jugement qui se transforme en une abstraction presque surréaliste, où est notamment interrogée la figure politique à travers la référence au masque créé pour marquer les médias.

Vue par l’artiste, la protestation parfois prend un tour absurde, pour en mieux souligner les dérives diverses, sans jamais verser dans le registre dramatique. L’interrogation constante de la frontière subtile et fragile entre contextes de normalité et situations de crise n’en que plus percutante.

AERNOUT MIK

Commissaires : Leontine Coelewij, Stedelijk Museum d’Amsterdam ; Sabine Maria Schmidt, Musée Folkwang, Essen ; Marta Gili, Jeu de Paume

Nombre d’œuvres : 8

AERNOUT MIK. COMMUNITAS

Jusqu’au 8 mai, Jeu de paume – site Concorde, 1, place de la Concorde, 75008 Paris, tél. 01 47 03 12 50, www.jeudepaume.org, mardi 12h-21h, mercredi-vendredi 12h-19h, samedi-dimanche 10h-19h. Catalogue, coéd. Steidl/Jeu de paume/Folkwang Museum/Stedelijk Museum, 232 p., ISBN 978-3-86930-295-9.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°343 du 18 mars 2011, avec le titre suivant : La normalité et la crise

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