Art contemporain

La loi de l’automatisation

Par Stéphanie Lemoine · L'ŒIL

Le 23 février 2022 - 561 mots

PARIS

Centre Culturel Canadien -  Présentée dans le cadre de l’exposition « Decision Making », jusqu’au 15 avril 2022, All We’d Ever Need is One Another (Trio) d’Adam Basanta occupe l’essentiel de la mezzanine du CCC.

Créée en 2019, elle est la seconde version d’une installation conçue un an plus tôt par l’artiste canadien. En son centre, sur un bureau, trône un triangle formé par trois scanners. Chacun d’entre eux est connecté à un logiciel qui définit aléatoirement les paramètres de numérisation (recadrage, contraste, réglage DPI, balance des couleurs, etc.), et scanne à intervalles réguliers les deux autres machines. Cette étrange opération justifie la présence de l’œuvre dans l’exposition, qui sonde les perspectives ouvertes par l’autonomisation des machines et des algorithmes. Des écrans offrent un aperçu des images générées et une indication quant à leur devenir. Celles-ci sont en effet soumises à un algorithme de deep learning, qui les compare à une base de données composée d’environ deux millions d’œuvres d’art, pour la plupart des peintures et photographies du XXe siècle. Dès que l’un des scans présente 83 % au moins de ressemblance avec les images du corpus, il est considéré comme « réussi ». « Plutôt que de définir des critères complexes et intrinsèquement subjectifs sur la qualité de l’art, une heuristique informatique élégante consisterait à choisir des résultats finaux qui ressemblent à l’art dont nous avons déjà convenu qu’il était bon et valable – c’est-à-dire l’art dans les musées, l’art qui se vend sur le marché de l’art », explique l’artiste. « L’œuvre » est alors téléchargée sur le site Internet, les comptes Instagram et Twitter d’Adam Basanta. Son titre contient le nom de l’artiste, le titre et la date de création de celle avec laquelle elle a « matché ». La présence d’une imprimante dans l’installation suggère que les images jugées artistiques sont aussi imprimées. Certaines d’entre elles sont d’ailleurs exposées sur les murs de la mezzanine. Un petit bureau logé dans un coin complète le tout. Un classeur noir est posé dessus, et sa présence insolite dans cet environnement machinique incite à l’ouvrir. On y découvre un autre versant, juridique cette fois, de l’installation. Dès sa première présentation au public, celle-ci a en effet valu à Adam Basanta d’être poursuivi par une artiste canadienne, Amel Chamandy, et sa galerie. Motif : All We’d Ever Need is One Another aurait enfreint son copyright et son trade mark en insérant une soixantaine de ses œuvres dans la base de données. L’une d’entre elles ayant passé avec une image scannée le seuil des 83 %, son titre et le nom de sa créatrice ont été publiés sur le site Internet et les comptes Instagram et Twitter de Basanta. De quoi semer la confusion dans l’esprit des internautes, selon Amel Chamandy. Au terme d’une longue procédure, la plaignante a finalement décidé d’abandonner les poursuites. On ne saura donc pas ce qu’aurait statué la justice canadienne sur un litige qu’on imagine amené à se reproduire, tant il illustre la difficulté d’arbitrer entre la création humaine et ses usages par le machine learning. Adam Basanta, lui, voit dans l’affaire un prolongement fécond aux enjeux soulevés par All We’d Ever Need is One Another : « À bien des égards, cette œuvre tente de mettre en question l’idée selon laquelle la créativité est une capacité humaine privilégiée, explique-t-il. Il est donc un peu amusant de penser que le procès offre l’exemple d’une humanité qui se défend contre cette idée. »

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°752 du 1 mars 2022, avec le titre suivant : La loi de l’automatisation

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