Statement

La démarche de l’empereur

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 31 mars 2006 - 809 mots

Dans une spectaculaire mise en scène, Pierre Huyghe déploie à l’ARC son univers peuplé d’allégories obscures et presque maniéristes.

 PARIS - Il fallait à la réouverture des espaces de l’ARC, au Musée d’art moderne de la Ville de Paris (MAMVP), un projet d’ambition, pour souligner l’importance toujours majeure de ce lieu parisien du contemporain, quelques semaines après la disparition de Pierre Gaudibert, son fondateur en 1967. C’est chose faite avec le projet de Pierre Huyghe, qui se donne en effet comme un événement hors mesure : « Celebration Park » occupe certes l’espace de l’exposition, mais tente de redéfinir les conditions connues du genre. Par le calendrier, d’abord, puisqu’un prologue d’un petit mois a ouvert le projet, qui sera prolongé à son tour sous une forme renouvelée à Londres cet été ; par la forme des œuvres, ensuite, qui ne sont pas tant des objets d’exposition que des dispositifs mobiles et évolutifs. Ils intègrent les participations d’autres artistes et contribuent, tels des chapitres, à former une saga, un geste nourri de l’imaginaire de l’artiste. S’y croisent, comme autant de niveaux de réalités parallèles, rêveries poétiques, songes quasi philosophiques, spéculations scientifiques, scénarios narratifs, récits de voyage et relations d’expériences, méditations sur la création et sur les imaginaires sociaux des loisirs, du travail, des pouvoirs, de la ville. On y retrouve encore des références littéraires, comme à la culture populaire adolescente. Le plus déconcertant dans la proposition de l’artiste est la liberté de ses supports (du film à l’installation, du livre à l’affiche, en passant par le concert), ainsi que son goût pour les dispositifs complexes, technologiques, et pour un sens théâtral de l’espace, du vide et du monumental, de la mise en scène de l’image. En tout cela, en effet, Pierre Huyghe déplace le paradigme de l’exposition, usant de l’espace physique pour accéder à une dimension publique de l’imaginaire individuel et du déploiement symbolique. D’où son efficacité rhétorique, largement portée par le désir de récit, et, malgré la dimension de fausse évidence, de démonstration oraculaire. C’est à cela, probablement, que tient la sensation pas toujours très heureuse d’une forme d’autorité du travail. Celle-ci est entretenue par l’aspect parfois sibyllin que prennent certaines pièces, qui rendent plus visible leur intention signifiante que leur sens à proprement parler – sauf à lire les modes d’emplois proposés par l’exposition ou par les commentaires, souvent brillants, de l’artiste. Mais si quelques allégories obscures ou presque maniéristes apparaissent ici ou là, le projet de « Celebration Park » demeure marqué par la dimension du jeu (du game autant que du play, voire du gamble, pour reprendre des distinctions que l’anglais fait mieux que le français) ; et il faut avouer que le meneur de jeu est adroit, ce narrateur tantôt effacé, tantôt bien plus présent, selon les épisodes.
Le parcours est effectivement très construit. Il s’ouvre, dans l’aquarium de l’ARC, avec le bloc minimaliste formé par les piles d’exemplaires d’un livre d’artiste en forme d’agenda baroquement doré, qu’entourent les affiches portant les propositions d’artistes et amis de jours de fêtes, à célébrer dans un calendrier qui reste à inventer. Les déclarations en lettres-néon, déjà présentes dans le mois de prologue, ponctuent la grande salle jusqu’à la partie courbe sur un ton paradoxal d’affirmations négatives, qui référent au musée lui-même comme au travail de l’artiste par le droit d’auteur. Les doubles portes géantes sont maintenant en mouvement permanent dans l’espace, parcourant la salle dans un mouvement magique, qui relèverait au cinéma des effets spéciaux, entre un imaginaire à la Harry Potter. Le film présenté ensuite est un spectacle au second degré, joué par des marionnettes filmées devant un public et qui conte les soucis parallèles de Le Corbusier dans les années 1950 et de Pierre Huyghe il y a deux ou trois ans pour mener à bien leurs travaux respectifs avec l’université Harvard : le moment tient de la fable. Vient ensuite l’ensemble de travaux constitué autour de cette île inconnue, métaphore glacée d’un ailleurs entre rêve et cauchemar, que l’on atteint par le récit filmé d’une expédition scientifique qui s’entrecroise avec un concert halluciné sur fond d’urbanité générique. Expédition dont les traces dans l’exposition tiennent en une reconstitution en maquette de l’île en question et en la figure du manchot albinos, alias One, l’Autre par excellence, dont le clin d’œil d’animatronique surprend. Le principe unificateur du parcours, et plus largement du travail de l’artiste (mais aussi de ses complices Gonzalez-Foerster et Parreno), c’est celui du parc d’attractions, figure de spectacle absolu déployé à l’échelle du vécu, fiction vraie d’un monde déréalisé qui n’en produit pas moins ses mythes.

PIERRE HUYGHE. CELEBRATION PARK

- Commissaires : Suzanne Pagé, Laurence Bossé, Julia Garimorth, Hans Ulrich Obrist - Nombre d’œuvres : 13 pièces, dont 5 inscriptions néons et 2 films 16 mm et vidéo - Financement : produit avec la Tate, Londres, et la galerie Marian Goodman, New York, Paris

PIERRE HUYGHE. CELEBRATION PARK

Jusqu’au 23 avril, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, tlj sauf lundi et jours fériés (mercredi jusqu’à 22h)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°234 du 31 mars 2006, avec le titre suivant : La démarche de l’empereur

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque