La chine, effervescente et engagée

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 18 avril 2016 - 1034 mots

Le 8 mai, Huang Yong Ping dévoilera l’installation réalisée pour la septième édition à Paris de Monumenta. Premier artiste chinois à investir la nef du Grand Palais, il rappelle le chemin parcouru par la Chine depuis bientôt trente ans pour figurer sur le devant de la scène artistique mondiale.

C'était il y a vingt-sept ans, Jean-Hubert Martin, alors directeur du Musée national d’art moderne, imaginait une exposition intitulée « Magiciens de la Terre » qui allait totalement modifier notre rapport de perception de la scène artistique internationale. Son idée de présenter dans la même unité de temps et d’espace des œuvres du circuit convenu de l’art contemporain avec des productions issues de cultures autres, mal ou méconnues, allait notamment être l’occasion d’avoir un premier aperçu de la scène chinoise. Quatorze ans plus tard et le réveil de toute une nation et de tout un peuple, le Centre Pompidou s’appliquait à faire valoir ce qu’il en était de l’incroyable développement qu’avait connu entre-temps cette scène asiatique. L’exposition « Alors, la Chine ? » qu’organisait l’institution parisienne en 2003 projetait le visiteur dans le vif d’une création profuse et polymorphe qui conjuguait tradition et modernité, consacrant la place de premier plan que les artistes avaient su conquérir sur l’échiquier international. Un phénomène qui est allé en s’amplifiant encore avec le temps et qui fait aujourd’hui de la Chine l’une des premières places fortes de la création artistique contemporaine. « Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera », prophétisait dès 1973 Alain Peyrefitte : la Chine s’est éveillée, le monde a tremblé – et celui de l’art assiste, stupéfait, à l’inexorable montée en puissance de toute une cohorte d’artistes, tant pour le contenu de leurs œuvres que pour le développement de leur marché.

À la conquête du monde
Si l’histoire de la Chine est millénaire, les conditions politiques, sociétales et économiques qu’elle a connues depuis une trentaine d’années en ont complètement bouleversé tout à la fois le paysage et le visage. Son ouverture au libre marché, son implication dans les grands débats à l’échelle de la planète, l’intérêt croissant de l’Occident à son égard participent sur le plan culturel à asseoir et à accroître l’image d’un certain nombre d’artistes qui pensent et qui font l’art. Après une période où ils ont cherché à inscrire leur démarche à l’aune d’une histoire de l’art universelle, reprenant à leur compte les critères d’une esthétique pop art en les adaptant à leurs motifs – Mao à la place de Marilyn –, les artistes chinois ont davantage adossé leur vocabulaire formel à leur identité, à leurs préoccupations et à leur engagement. Mais, au fil du temps, à l’égal de n’importe quelle autre scène artistique nationale, certains résistent mieux que d’autres. À cela, plusieurs raisons : il y va tout à la fois d’une faculté au déplacement, d’une capacité d’adaptation à l’autre et d’une perception efficace des mécanismes tant globaux que locaux qui nous gouvernent, qu’ils soient artistiques ou non.

Dès lors que la Chine s’est ouverte au monde, sa puissance économique a grandement favorisé le milieu de l’art national. À l’instar des États-Unis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le pays de Mao, qui n’avait jamais cessé de connaître toutes sortes de rébellions culturelles d’avant-garde, a très vite rebondi en cherchant à s’imposer sur la scène artistique internationale. Au tournant des XXe et XXIe siècles, on a vu surgir à Pékin tout un complexe de galeries réunies sur le domaine d’une ancienne armurerie, nommé « 798 Art District », à Dashanzi. Très vite, ce territoire est devenu l’un des lieux incontournables de la Chine versant art contemporain et il s’est doublé en étendue par la création d’un autre « village », du nom de « Cao Changdi », aménagé sous l’autorité architecturale d’Ai Weiwei. Disposant d’espaces à faire pâlir les Occidentaux, la scène pékinoise a dès lors connu une incroyable effervescence. Le nombre d’artistes qui est apparu est considérable, chose normale eu égard à un pays qui compte quelque trois milliards et plus d’individus.

Un art iconoclaste
L’intelligence des artistes chinois est d’avoir aussitôt cherché à s’inscrire dans le grand concert de la création artistique contemporaine. On observe ainsi que certains d’entre eux parmi les plus en vue sont ceux-là mêmes qui ont non seulement développé relativement tôt une relation avec le monde occidental sans jamais perdre le contact avec leurs origines mais qui se sont tenus aux aguets du régime, voire qui l’ont franchement combattu. À ce titre, Ai Weiwei passe pour la figure emblématique par excellence de la nouvelle Chine artistique. Le Warhol des années 2000. Fondateur d’un groupe d’avant-garde en 1979, non seulement il a passé douze ans aux États-Unis, de 1981 à 1993, mais il est revenu chez lui pour y développer un travail iconoclaste adossé à la culture de son pays, dénonçant le système politique centralisé et les contradictions de la modernité. « L’art a toujours été très présent en Chine, proclame-t-il haut et fort, nous avons l’habitude d’utiliser toutes sortes de matériaux, et ce n’est pas quelques dizaines d’années de communisme qui allaient tout faire disparaître. »

Des quatre uniques représentants de la Chine à l’exposition des « Magiciens de la terre », en 1989, Huang Yong Ping est assurément celui dont la figure est la plus présente sur la scène française. Originaire de la province de Fujian, il fut dans le courant des années 1980 à l’origine d’un mouvement rebelle – « Xiamen Dada » – dont le nom en dit long de sa posture. Installé en France depuis plus de vingt-cinq ans, Huang Yong Ping, qui a été l’un des deux représentants de notre pays à la Biennale de Venise de 1999, développe un travail dont le syncrétisme des formes et des sujets tourne autour du choc culturel entre Orient et Occident. Invité du prochain « Monumenta », en mai au Grand Palais, l’artiste s’applique toujours à pointer les interactions et les influences réciproques qui existent entre des cultures très différentes, dans la tentative de faire valoir qu’un dialogue est malgré tout possible. À ce titre, l’art de Huang Yong Ping est prospectif d’une forme d’art qui est en première ligne, à l’instar de tout un panel d’artistes chinois, connus, reconnus ou à découvrir. 

« Monumenta 2016. Huang Yong Ping »

Du 8 mai au 18 juin 2016. Nef du Grand Palais, 3, avenue du Général Eisenhower, Paris-8e. Ouvert du mercredi au lundi de 10 h à 19 h, Nocturnes jusqu’à 22 h du jeudi au samedi, fermé le mardi. Tarifs : 10 et 5 €. Commissaire : Jean de Loisy. www.grandpalais.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°690 du 1 mai 2016, avec le titre suivant : La chine, effervescente et engagée

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