Brésil - Biennale

Brésil - Décevants tropiques

La Biennale de São Paulo ne convainc pas

La Biennale de São Paulo livre une édition 2014 peu convaincante par les œuvres présentées

Par Alain Quemin · Le Journal des Arts

Le 17 septembre 2014 - 819 mots

Desservie par une sélection bancale dominée par la vidéo et l’absence d’artistes émergents de qualité, la 31e édition de la Biennale de São Paulo souffre de la dispersion de ses trop nombreux commissaires d’exposition. Brouillonne et parfois répétitive, la manifestation peine à livrer un discours pertinent sur notre époque.

SAO PAULO - C’est, depuis 1951, l’une des plus importantes biennales dans le monde, et sans conteste la plus marquante de l’hémisphère Sud. Après des années de turpitudes liées à son financement, la Biennale de São Paulo a retrouvé toute sa place. La manifestation est indissociable de son cadre, le magnifique bâtiment conçu par Oscar Niemeyer qui l’héberge tous les deux ans et qui accueille également chaque année la foire d’art contemporain SP-Arte. En 2014, les curateurs de la Biennale ont respecté comme rarement le superbe espace qui leur est confié. Là où, voilà deux ans, le volume intérieur était fractionné en de multiples white cubes, la scénographie adoptée en 2014 est beaucoup plus ouverte, laisse respirer l’espace et sert remarquablement l’architecture de Niemeyer. Elle convainc également quand une œuvre vidéo de Mark Lewis mettant en scène des escalators et un escalier se découvre justement à l’arrivée d’un escalator qui permet de se hisser jusqu’à l’œuvre.
En revanche, s’agissant des artistes et des œuvres justement, les partis pris adoptés par l’équipe curatoriale semblent trop peu justifiés. Les œuvres apparaissent d’une étonnante faiblesse et elles n’intéressent pas davantage qu’elles ne touchent.

Située au cœur de l’Amérique du Sud, dans un pays à la formidable tradition mais aussi à la production plastique actuelle très riche, la Biennale de São Paulo, dans son édition 2014, a le mérite de montrer un quart d’artistes brésiliens et presque autant de créateurs d’autres pays d’Amérique latine. Pourtant, alors que la Colombie connaît une formidable explosion de sa scène artistique depuis plusieurs années et que le Pérou s’affirme de plus en plus, le premier pays n’est représenté que par un seul artiste, le second par trois d’entre eux, quand l’Argentine s’illustre par pas moins de cinq créateurs et le Chili par trois d’entre eux. Le reste de la géographie de la création internationale exprimée par la Biennale est tout aussi surprenant : cinq artistes d’Amérique du Nord seulement, quatre artistes africains et aussi peu d’asiatiques, seize d’Europe occidentale (dont un seul Français, aucun Allemand mais… six Espagnols !) et, surtout, pas moins de douze artistes du Proche-Orient ! Cela ne serait pas gênant si les artistes de ces scènes apparaissaient injustement ignorés jusqu’alors, mais tel est loin d’être le cas, comme le montre en particulier le cas des quatre artistes israéliens auxquels l’immense espace dévolu dans l’exposition apparaît peu défendable au regard de la qualité de leur travail.

La photo, la peinture et la sculpture peu représentées
Les déséquilibres précédents se prolongent à travers les médiums. Dans cette édition règnent les vidéos (très bien présentées) et les installations, mais la photographie, la sculpture et la peinture n’ont guère droit de cité. On ne s’en désolera qu’à moitié, tant les choix d’artistes pratiquant ce
dernier médium sont faibles (à l’exception de Jo Baer). Certes, la peinture est souvent le talon d’Achille des curateurs contemporains, mais il est fâcheux que personne ne semble maîtriser ce médium au sein d’une équipe curatoriale composée de pas moins de sept personnes (dont le jeune Français Benjamin Seroussi) ! Là où les plus grandes manifestations se contentent généralement d’un ou de deux curateurs, la Biennale de São Paulo, dans son édition 2014, a donc fait appel à une véritable armée mexicaine – influence continentale ? – qui donne lieu, au final, à une manifestation des plus brouillonnes et parfois répétitive.

Parmi les traits récurrents : on se réjouit d’une forte présence dans les œuvres des personnes afro-descendantes, présence bienvenue dans un pays très métissé et dans un monde de l’art contemporain trop souvent exclusivement blanc ; on note une influence du street art et des cultures urbaines, mais aussi de l’esthétique queer jusqu’à plus soif. À l’heure où un(e) artiste transgenre a une nouvelle fois remporté le concours européen de la chanson, qu’apporte vraiment ce flot de travestis et de femmes à barbe que l’on retrouve dans tant d’œuvres ?

On ressort de la visite en ne retenant que bien peu de chose car trop d’œuvres consistent en des idées inabouties plastiquement. Émerge toutefois une installation très réussie de Walid Raad, Letters to the Reader, qui mêle réflexion sur la calligraphie, l’ornemental, le plein et le vide. Mais Walid Raad est un artiste très reconnu, d’une grande justesse dans le travail. Pour les découvertes d’artistes émergents de qualité ou pour trouver un discours pertinent sur notre époque, il faudra attendre de prochaines éditions de la manifestation.

31e Biennale de São Paulo

Équipe curatoriale : Charles Esche, Galit Eilat, Nuria Enguita Mayo, Oren Sagiv, Pablo Lafuente (commissaires), Benjamin Seroussi et Luiza Proença (commissaires associés), Sofia Ralston (commissaire assistante)

Nombre d’artistes : plus de 100

31e biennale de São Paulo, « How to […] Things that don’t Exist »

Jusqu’au 7 décembre, Parque Ibirapuera, São Paulo, Brésil, www.bienal.org.br

Légende Photo :
Walid Raad, Letters to the Reader, vue de l'installation à la Biennale de São Paulo. © Photo : Leo Eloy/Fundação Bienal de São Paulo.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°419 du 19 septembre 2014, avec le titre suivant : La Biennale de São Paulo ne convainc pas

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