Joëlle Pijaudier-Cabot

directrice des Musées de strasbourg

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 30 juillet 2007 - 1471 mots

De la direction du Musée d’art moderne de Villeneuve d’Ascq à son arrivée à la tête des musées de Strasbourg, Joëlle Pijaudier-Cabot a creusé un sillon au service des artistes.

Le milieu de l’art aime les stars, les personnalités tonitruantes ou glamour. Mais le paysage culturel que nous connaissons s’est aussi construit grâce à ses chevilles ouvrières efficaces et discrètes. Ainsi Joëlle Pijaudier-Cabot, ancienne directrice du Musée d’art moderne Lille Métropole, à Villeneuve d’Ascq (Nord), promue depuis mars à la tête des musées de Strasbourg. Militante plus que passionaria, sa trajectoire épouse l’ancrage de l’art contemporain en région. « Ce n’est ni une parvenue, ni quelqu’un du sérail ou des atmosphères confinées, qui, sortie des salles de musées, ne saurait pas où elle est », décrit le délégué aux Arts plastiques Olivier Kaeppelin. Quand certains campent sur la « crâne attitude », elle mise sur le sérieux et la force tranquille. « Elle est dans le travail et non dans la déclaration d’intention », assure Fabrice Hergott, son prédécesseur à Strasbourg et aujourd’hui directeur du Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Pour l’historien de l’art Serge Fauchereau, « elle ne joue pas à l’intellectuelle et n’abandonne jamais sa féminité, mais est capable de vous dire “allez, venez, on va boire une bière”. Ce n’est pas une caricature de mâle, tout en étant un bon copain ».

« Des missionnaires »
Joëlle Pijaudier naît dans une famille aux origines bigarrées, puisant aussi bien au Maroc ou en Espagne qu’en Turquie. L’ouverture qu’induit ce terreau métissé se prolonge au sein d’un lycée pilote à Marseille. Lors d’une visite scolaire au Musée Cantini, elle découvre l’art du XXe siècle, qui allait changer sa vie. Enfin pas tout de suite, puisqu’elle suit d’abord le parcours classique « hypokhâgne-maîtrise de lettres classiques » avant de s’inscrire à l’École du Louvre. S’ensuivent trois mois de stage au Musée Cantini, la découverte du mouvement Supports-Surfaces et finalement un poste de conservateur au Musée de Martigues (Bouches-du-Rhône), un établissement encore balbutiant. « On était dans des endroits qu’on appellerait aujourd’hui des “non-pays” avec des “non-cultures”, rappelle Marie-Claude Beaud, ancienne directrice du Musée des beaux-arts de Toulon. Quand on est en province, on a besoin de bouger pour avoir l’information, c’est une chose que Joëlle a gardée, avec le souci de la proximité. » Un souci qui s’exprime dans les achats des artistes locaux, dont des émissaires de Supports-Surfaces.
Ayant fait en sept ans le tour de la question à Martigues, Joëlle Pijaudier rejoint en 1983 la délégation aux Arts plastiques (DAP) et s’embarque dans le grand prêche de la décentralisation, en s’occupant d’abord des centres d’art. Cette apnée enrichit ses connaissances en art contemporain et lui permet de se faire la main dans les stratégies locales. « Nous étions toujours sur la brèche, se souvient-elle. C’était une génération de missionnaires qui n’avaient pas de vie de famille. Nous ne pensions pas faire ça longtemps, [supposant] que, rapidement, on n’aurait plus besoin de nous. » Le sacerdoce a-t-il porté ses fruits, vingt-cinq ans plus tard ? « On est dans une période où les institutions se replient sur elles-mêmes. L’euphorie des années 1980 a été désordonnée, il y a peut-être eu trop d’artistes qui se sont pensés comme tels, observe-t-elle. Aujourd’hui, la gestion des affaires culturelles est devenue très lourde. Les conseillers artistiques, qui étaient des gens de terrain, sont maintenant des gens de papier. Les mesures de précaution et les règles sont énormes et constituent de vraies entraves à la création. Plus personne ne veut prendre de risques. » Cette signataire de la pétition contre le Louvre-Abou Dhabi ajoute : « Il faut travailler à ramener la création au centre et non plus du côté de la communication. Le public qu’on aurait espéré dans les années 1980 est bien là, mais ce sont les centres de décision qui, parfois, répondent à côté. »
Après quatre ans d’apostolat à la DAP, Joëlle Pijaudier renoue avec les musées en prenant la direction de celui de Lille Métropole. Une institution riche, mais excentrée, située en bordure d’autoroute. Elle parvient à y imposer une politique ambitieuse d’expositions fondée notamment sur des monographies, de Richard Deacon, Daniel Buren, Gérard Gasiorowski ou encore Daniel Dezeuze. « Elle a réussi, à chaque accrochage, à assimiler physiquement le musée, à faire un progrès dans l’espace », souligne Blanche Grinbaum-Salgas, inspectrice à la direction des Musées de France (DMF). Le vrai tour de force sera sans doute « L’envers du décor », revisitant l’histoire de la décoration et des motifs dans l’art du XXe siècle.
Avec le Musée des arts contemporains (MAC’s) au Grand-Hornu, à Hornu en Belgique, elle engage une synergie via des conventions transfrontalières. « Nous sommes l’exemple même des échanges sans accroc, dans un véritable bonheur, souligne Laurent Busine, directeur du MAC’s. Joëlle ne donne jamais des réponses stéréotypées, et fait en sorte que les choses se fassent. » Ce souci du dialogue infuse toutes ses relations, y compris avec son équipe.

Le souci de la réception
Dans ces terres si proches des grandes collections belges, Joëlle Pijaudier n’ignore pas les amateurs privés, invite même les Billarant à présenter leur collection, tout en gardant une certaine distance. « Joëlle a du caractère et elle n’aimait pas qu’on empiète sur son territoire. Elle n’avait pas d’indifférence vis-à-vis du privé, mais ce n’était pas son domaine », relève le collectionneur Michel Poitevin. Même fermeté dans ses relations avec les politiques. Sans lâcher l’os, elle ne se crispe pas pour autant dans une position de bravade. « Si le conservateur ne vit pas au rythme de la ville, le dialogue ne passe pas, note l’intéressée. Ma méthode, c’est écouter, puis réagir vite avec des propositions exigeantes tout en ayant le souci de la réception du public. » Le mot-clé est lâché. « Elle est au service du public et de l’œuvre de l’artiste. Elle a une intuition de ce qui va réveiller la curiosité des visiteurs », confirme l’artiste Daniel Dezeuze.
Avec la donation en 1995 de la collection d’art brut de L’Aracine, le musée se pare d’une nouvelle identité. Joëlle Pijaudier milite pour obtenir d’abord un dépôt puis un don de cet ensemble, bien que l’art brut ne soit pas vraiment sa tasse de thé. En jouant de sa diplomatie, elle aura raison d’une association qui réprouve une muséification de l’art brut d’une part, des autorités locales ignorantes en la matière d’autre part. La mariée est certes belle, mais le cadeau, empoisonné, certains ayant même craint que Villeneuve d’Ascq remise l’art contemporain au profit de l’art brut. Sans doute la directrice a-t-elle compris que, grâce à l’extension nécessaire pour abriter cette collection, elle pourrait restructurer le musée. Un souhait plombé par un budget très tendu. « Joëlle a écouté et s’est mouillée quand il y a eu des moments compliqués, rappelle l’architecte du projet Manuelle Gautrand. Qu’un client ait confiance dans son architecte comme elle l’a eu est assez rare. » La fermeture de l’institution, prévue jusqu’en 2009, a toutefois pesé sur le moral des troupes. « Être dans un musée fermé, c’est monstrueux, admet Joëlle Pijaudier-Cabot. On n’est plus avec les collections. C’est l’expérience la plus douloureuse, le mal-être des équipes, le décalage temporel qui fait que celles-ci ne voient pas ce qui est projeté. »

Les dix musées de Strasbourg
Cette situation d’attente n’est sans doute pas étrangère à son départ récent pour Strasbourg. La direction d’un attelage de dix établissements se révèle pourtant plus complexe que celle du grand navire de Villeneuve d’Ascq. « L’enjeu de mon mandat, c’est le rééquilibrage des musées, indique-t-elle. Le budget a beau être conséquent, tout le monde ne peut pas faire sa grande exposition. » Outre le programme déjà établi avant son arrivée, comme « Strasbourg 1400 », et une exposition avec le producteur Marin Karmitz autour de la philosophie et du livre, elle envisage quelques monographies, ainsi celle de Wim Delvoye. Elle souhaite aussi développer la synergie entre le Musée des arts décoratifs et l’École supérieure des arts décoratifs, réinscrire la salle de l’Aubette dans un parcours de visite et renforcer le pôle vidéo du Musée d’art moderne et contemporain (MAMCS). Le véritable enjeu porte sur l’hypothèse de « Strasbourg, capitale culturelle » en 2013, avec un projet sur l’Europe des esprits conduit par Serge Fauchereau. La nouvelle directrice a toutefois surpris les observateurs en cantonnant le conservateur en chef du MAMCS, Emmanuel Guigon, dans le champ du moderne, ce après six ans de services, quelques expositions médiatiques et trois renouvellements de contrat. Un petit grain de sable dans la sérénité ambiante.

Joëlle Pijaudier-Cabot en dates

1950 Naissance à Paris. 1976 Directrice des musées de Martigues. 1983 Chargée de mission au Fonds d’incitation à la création, puis au département de la décentralisation artistique à la délégation aux Arts plastiques. 1987 Directrice du Musée d’art moderne Lille Métropole, à Villeneuve d’Ascq. 1998 Exposition « L’envers du décor, dimensions décoratives dans l’art du XXe siècle ». 2001 Exposition « Daniel Buren. Une traversée, peintures, 1964-1999 ». 2004 Exposition « Mexique-Europe, allers-retours, 1910-1960 » ; « Robert Filliou, génie sans talent ». 2007 Directrice des musées de Strasbourg.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°259 du 11 mai 2007, avec le titre suivant : Joëlle Pijaudier-Cabot

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