Témoignage

Jayce Salloum, sujet de l’histoire

Le vidéaste canadien livre quelques histoires de notre temps avec une historicité assurée

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 31 janvier 2012 - 662 mots

PARIS - Pour tous ceux qui s’intéressent à la vidéo, tant dans la dimension documentaire que sous l’aspect de l’histoire de ce medium finalement tout neuf, et encore à la manière dont le territoire de l’art est aussi un moyen d’inscrire l’histoire contemporaine, l’exposition présentée par le Centre culturel canadien est un événement à ne pas manquer.

On y découvre un artiste engagé dans une pratique exemplaire d’une vidéo engagée, – et dirait-on doublement engagée – dans le rapport au théâtre de conflits qu’est le monde contemporain, dans la manière dont le monde se construit pour tout un chacun, et plus encore pour les artistes au travers de la subjectivation, un regard singulier et investi.

Jayce Salloum travaille en vidéo depuis le cours des années 1980 à la construction d’une œuvre qui demeure en élaboration permanente, par reprise et remontage. Il répond ainsi au programme du paradoxe apparent qui servit de titre de l’une de ses expositions, en 2009 : « L’histoire du présent ». Et c’est bien à une vision incarnée du monde contemporain qu’invite la dizaine de pièces vidéo, projections, monopostes et installations associant images fixes et film, qui ont trouvé leur place dans l’espace pourtant pas facile du Centre culturel canadien.

Notons tout de suite que l’ensemble représente plus de six heures de programme. Mais les œuvres, s’échelonnant de 1984 à 2011, offrent un parcours géographique dans la matière de l’image et dans sa transformation technique, donc plastique. L’écriture est cohérente dans son esprit, marquée par une forme d’indifférence esthétique, de peu de préoccupation à une qualité formelle des cadrages : l’image est souvent instable, jusqu’au montage, parfois très brut. Cette historicité perçue au travers de la nature des images (de l’archive télévisuelle ancienne à la haute définition désormais banale des caméras amateur d’aujourd’hui, en passant par la VHS, le repiquage, le document ou la photographie) s’affirme comme très pertinente par rapport au contenu. Le refus du léché et la maladresse relative apportent leur poids de subjectivité et de sensibilité aux œuvres. Et ce trait est d’autant remarquable et nécessaire que les terrains d’action de l’artiste sont souvent difficiles, conflictuels.

Archives de rencontres et d’impressions
Fils d’émigrés libanais né dans l’ouest canadien en 1958, diplômé en 1980, Salloum entreprend aussitôt un travail documentaire à partir du paysage canadien. Puis très vite, il élargit au monde son regard pour parcourir l’histoire en train de se faire par l’image et en vivant les situations et les rencontres. L’exposition emmène au Liban, avec une charge et une vision marquée par la biographie de l’artiste, mais aussi en ex-Yougoslavie, en Afghanistan… Au travers de rencontres et de longs dialogues – ici avec une intellectuelle, là avec un témoin de la rue –, les images se combinent, parfois de manière descriptive, parfois allégorique, soulignées par des dispositifs de diptyque, ajoutant à la parole l’épaisseur d’un contexte et aux situations la densité du vécu. L’intimité distanciée qu’engage l’artiste est aussi celle qu’il partage avec ses interlocuteurs, ramenant l’histoire, avec un grand « H » et son lot de violences de tous ordres, dans notre perception, sans pathos et sans complaisance. Un regard qui reste grand ouvert sur le monde proche de l’artiste, comme le montre la séquence très forte et dérangeante où des Indiens canadiens (en particulier dans Terra Incognita (2005) avec d’Indiens Syilx) témoignent de leur sort, terrible, qui leur est fait dans l’histoire récente du Canada pourtant démocratique et cosmopolite, au titre de leur « intégration ». Il est important qu’une institution publique canadienne sache montrer cette réalité du monde aussi. Attention aux horaires : le Centre culturel canadien n’est ouvert qu’en semaine !

JAYCE SALLOUM, RECITS ALTERNATIFS (DU LIBAN A L’AFGHANISTAN, PAR LA VALLEE DE L’OKANAGAN)

Commissaire : Catherine Bédard, Centre Culturel Canadien
Nombre d’œuvres : 10, 6 heures de programme

Jusqu’au 16 mars 2012, Centre culturel canadien, 5 rue de Constantine, 75007 Paris, tél. 01 44 43 21 90, www.canada-culture.org, entrée libre du lundi au vendredi de 10h-18h, jusqu’à 19h le jeudi

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°362 du 3 février 2012, avec le titre suivant : Jayce Salloum, sujet de l’histoire

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