Genre

Identité féminine

Trois expositions organisées à Vienne, en Autriche, rendent hommage aux artistes femmes

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 4 janvier 2011 - 737 mots

VIENNE (AUTRICHE) - Par un curieux hasard du calendrier, trois expositions viennoises mettent à l’honneur des artistes femmes.

La plus intéressante des trois, organisée par la Sammlung Verbund (collection d’art d’avant-garde viennoise) en partenariat avec la Bank Austria Kunstforum, porte un éclairage sur le travail méconnu de l’Autrichienne Birgit Jürgenssen, décédée en 2003. Elle permet de mesurer la cohérence et la subtilité de cette artiste influencée par les surréalistes, dont Meret Oppenheim. D’entrée de jeu, l’accrochage révèle ses nombreux questionnements sur l’identité féminine. À plusieurs reprises à partir de 1974, Jürgenssen s’affuble d’un masque de renard, référence implicite au mythe chinois de la femme renarde, un esprit à la fois dangereux et bienfaisant en métamorphose constante. Loin des « chiennes de garde », cette femme séduisante et coquette ne refuse pas les attributs de la féminité. Elle les embrasse et les détourne. Le talon aiguille d’une chaussure, posé à l’envers sur un poing, devient arme et épine. Au roulement de mécanique, Jürgenssen préfère la fine ironie. À l’emplacement du muscle supposé saillant d’un bras, elle dessine un sein, symbole d’une féminité triomphante. Dans une photo de 1972, elle forme avec son corps les quatre lettres du mot Frau (femme). Ces lettres semblent enserrer son corps dans un étau, en révéler le potentiel aussi bien sensuel que servile. En 1976, elle se représente le visage plaqué à une vitre, faisant mine de s’échapper de sa maison de verre. Le titre est éloquent : I want to get out of here (je veux sortir d’ici). Dix-neuf ans plus tard, elle inscrit, à la craie sur une petite ardoise d’écolier, Ich bin (je suis). Comme si elle avait enfin trouvé sa sortie. Mais cette belle assurance reste fragile, car une petite éponge pendue à l’ardoise peut effacer l’affirmation.
Dans un contexte dominé par le réalisme fantastique et les actionnistes viennois, ce travail a longtemps été occulté. Cet isolement, qu’elle a elle-même conforté, apparaît presque inconsciemment dans son usage récurrent de masques et de voiles. Ses performances auront d’ailleurs lieu dans l’intimité de son atelier avec, pour seul témoin, un appareil photo déclenché à distance. Comme Cindy Sherman d’une certaine façon, à la différence majeure que Jürgenssen ne s’intéresse pas aux stéréotypes. Sans doute son féminisme plus poétique que politique, son goût du dessin, expression intimiste par excellence, son souci presque maniériste du détail, son côté finement railleur, n’étaient-ils guère audibles dans le bouillonnement contestataire de l’époque. 

Approches divergentes 
C’est un versant d’ailleurs plus guerrier et démonstratif du féminisme qu’incarne sa consœur autrichienne Valie Export, à laquelle le Belvédère consacre une rétrospective en collaboration avec le Kunstmuseum de Linz. Cette artiste aujourd’hui septuagénaire fut une passionaria des actions provocatrices comme Genital Panik de 1969, qui la montre armée d’une mitraillette, le jean découpé laissant voir son pubis dénudé. Alors que Birgit Jürgenssen ne refuse pas les accessoires féminins, Valie Export les rejette, en se faisant tatouer un porte-jarretelles sur la cuisse. La différence entre les deux approches ne s’arrête pas là. Jusqu’à la fin de sa courte vie, Jürgenssen a travaillé autour des représentations de la femme. Valie Export a pour sa part élargi son spectre en explorant la question de l’espace. Ainsi l’artiste a-t-elle su parfaitement jouer avec l’architecture du Belvédère, en installant dans l’une des salles les plus baroques Glottis (2007-2010), une pièce très organique composée de moniteurs représentant sa glotte en mouvement.
Si les expositions Jürgenssen et Valie Export rendent hommage à deux expressions opposées mais non moins denses, celle intitulée « Power up – Female pop art », orchestrée par la Kunsthalle, succombe aux écueils du genre. L’idée est de rappeler que les femmes ont aussi figuré dans le mouvement pop, en utilisant le même vocabulaire et et les mêmes références que leurs collègues masculins. Soit. Mais qu’ont-elles apporté de plus ? Là, l’exposition patine, insiste sur la dimension ouvertement sexuelle de certains travaux. La faiblesse du propos tient à un casting ridicule mettant sur le même plan des figures importantes, voire intrigantes, comme Niki de Saint Phalle, Marisol ou Dorothy Iannone, et d’autres nettement plus secondaires comme Christa Dichgans.

BIRGIT JÜRGENSSEN, jusqu’au 6 mars, Bank Austria Kunstforum, 8, Freyung, Vienne, Autriche, www.verbund.com/cc/de, tlj 10h-19h, vendredi jusqu’à 21h

VALIE EXPORT, TIME AND COUNTER TIME, jusqu’au 30 janvier, 6, Rennweg, Vienne, Autriche, www.belvedere.at, tlj 10h-18h, mercredi jusqu’à 21h

POWER UP – FEMALE POP ART, jusqu’au 6 mars, Kunsthalle, hall 1, Vienne, Autriche, www.kunsthallewien.at, tlj 10h-19h, jeudi jusqu’à 21h

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°338 du 7 janvier 2011, avec le titre suivant : Identité féminine

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque