Humains augmentés

Par Stéphanie Lemoine · L'ŒIL

Le 16 janvier 2014 - 407 mots

Depuis quelques mois, une convergence de signaux suggère que 2014 pourrait être l’an 01 du transhumanisme. Il y a d’abord eu, en décembre, à Paris, l’implantation du premier cœur entièrement artificiel – une prouesse technique de nature à supplanter à terme la greffe cardiaque, mais aussi un marché potentiel de plusieurs dizaines de milliards d’euros pour la société Carmat, qui a conçu la bioprothèse.

Puis, dans le même temps, en Allemagne, l’artiste et biohacker Tim Cannon s’est implanté une puce RFID dans l’avant-bras. Nommé Circadia, cet impressionnant dispositif d’une dizaine de centimètres s’avère capable de communiquer par bluetooth la température corporelle de celui qui le porte, et ce avec n’importe quel appareil numérique fonctionnant avec Android. Développé en open source, il pourrait être commercialisé dès cette année par Grindhouse Wetware, la société créée par Tim Cannon et une poignée de biohackers. L’événement a été salué comme une véritable performance. L’artiste n’est pourtant pas le premier à tenter de fusionner l’homme et la machine, et à faire de la technologie un moyen de pallier les déficiences du corps ou d’en accroître les potentialités.

En 2004, Neil Harbisson, musicien atteint d’achromatie et muni d’un « eyeborg » qui lui permet d’« entendre » les couleurs, s’est vu le premier reconnaître le statut de « cyborg » par le Royaume-Uni – fait qui lui a valu de pouvoir poser avec sa prothèse sur la photo de son passeport. Depuis, il plaide au sein de la Cyborg Foundation pour une véritable reconnaissance des humains « augmentés ». La démarche de Tim Cannon a une coloration plus politique. En atteste la manière dont l’homme a procédé pour se faire implanter Circadia : il a confié à Steve Haworth, pionnier des modifications corporelles, le soin de lui loger l’objet sans anesthésie dans l’avant-bras, histoire de rappeler le caractère résolument DIY (do it yourself) de sa démarche. Ce mode opératoire complète une lignée de performances plus ou moins douloureuses nouées autour du corps, et qui courrait du Body Art au tatouage. Pourtant, aussi visible soit-il, le dispositif mis en œuvre par Tim Cannon se défend de toute visée critique. Loin de mettre en garde contre la mainmise de la technologie sur le corps, Circadia entend plutôt vanter les promesses de l’homme augmenté. « Je ne veux pas mourir » forme le point de départ de l’expérience. En cela, Circadia renoue avec l’idée que l’art serait d’abord un moyen pour l’homme de prétendre à l’immortalité… 

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°665 du 1 février 2014, avec le titre suivant : Humains augmentés

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