Hou Hanru curateur

Pétri de multiculturalisme, le commissaire d’expositions Hou Hanru orchestre la prochaine Biennale d’art contemporain de Lyon. Portrait d’un esprit véloce

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 16 septembre 2009 - 1480 mots

Peut-on être rapide sans hâte ? Rompu aux manifestations montées dans l’urgence, le curateur Hou Hanru sait jongler avec ce paradoxe. Invité à diriger la Biennale d’art public de Shenzhen (Chine) en 2003, il n’a disposé que de trois mois pour organiser l’événement. Les maîtres d’œuvre de la Biennale de Lyon ne s’y sont pas trompés en le recrutant, en pompier, après la défection surprise de Catherine David (lire le JdA n° 297, 20 février 2009).

En un tour de main, il a monté une liste d’artistes et un thème – le spectacle du quotidien – traitant des liens entre la création et la réalité. En filigrane, on note une ambition : « Que la Biennale de Lyon ne soit pas invisible dans les cent cinquante biennales qui existent dans le monde. » Car, pour cet homme discipliné, vélocité ne rime pas avec facilité. Refusant les schémas clés en main, il exige une réelle implication de la part des créateurs. « Il organise régulièrement des réunions de travail, rappelle l’artiste Latifa Echakhch. Ce n’est pas un commissaire d’expositions qui choisit les œuvres sur catalogue. »

Jeune prodige
Sans avoir cherché à se construire une légende, Hou Hanru traîne derrière lui une réputation de jeune prodige. Dès l’âge de sept ans, il s’adonne à la peinture. Dix ans plus tard, le voilà inscrit à l’Académie des beaux-arts de Pékin. Simultanément, il écrit des textes sur l’art dans des journaux pékinois et cantonais. « Il était brillant dans toutes les matières. Il avait une mémoire d’enfer et une capacité à travailler jour et nuit », vante l’artiste Yan Pei-Ming. « Il faisait du basket, du foot, il aimait la vie, mais il était toujours numéro un. Il connaissait beaucoup de choses sur les artistes, même ceux qui n’étaient pas connus, y compris ceux de la période Ming », renchérit le créateur Yang Jiechang. Pour ce dernier, le caractère d’Hou Hanru s’explique par ses origines cantonaises : « Toutes les idées révolutionnaires sont venues de Canton. Les Cantonais sont indépendants et autonomes. Ils sont à la fois très traditionalistes et très ouverts sur le monde. » De fait, contrairement à la majorité des curateurs chinois, Hou Hanru ne s’est pas limité à l’empire du Milieu. Bien avant de s’installer à Paris en 1990, il était fasciné par Joseph Beuys, avalait Sartre, Deleuze et Foucault. S’il a toujours défendu quelques piliers chinois comme Huang Yong Ping, Chen Zhen ou Wang Du, il a élargi son spectre à d’autres créateurs, plus jeunes, comme Cao Fei, ou étrangers, comme Adrian Paci et Adel Abdessemed. « Avec les artistes chinois, il a une relation sentimentale. Mais ça ne veut pas dire qu’il favorise ses copains ou copines. Il est très fort, suit sa trajectoire, comme un couteau, précise l’artiste Shen Yuan. Son point de vue sur le monde est large. À chaque fois, il essaye de trouver de nouveaux sujets pour être toujours piquant. » Hou Hanru le confirme : « Je n’ai jamais été intéressé par l’idée de représenter une culture, surtout ma culture. Je n’ai jamais pensé que la notion de nation soit essentielle. » Il sait d’ailleurs déjouer les pièges du nationalisme. Lorsqu’on lui confie la direction du pavillon chinois à la Biennale de Venise en 2007, il n’expose que des artistes femmes, un camouflet pour le machisme ambiant ! En 1997, lors de l’exposition « Parisien(ne)s » au Camden Arts Centre de Londres, il se focalise sur des créateurs qui ont transformé la scène parisienne sans être nés pour autant en France. Depuis la fin des années 1990, Hou Hanru multiplie toutefois les projets en Chine, de la Biennale de Shanghaï en 2000 à la Triennale de Canton voilà trois ans. Tout en agissant avec doigté, cet aventurier ne courbe pas l’échine devant les autorités locales. « L’important est de partager son indépendance avec son interlocuteur, explique-t-il. Le partage est la substance du travail. Une exposition, ce n’est pas forcer les gens à regarder d’une certaine façon, mais à entrer dans une discussion. » Et d’ajouter?: « La Biennale de Shanghaï avait pour but de normaliser l’art contemporain dans l’opinion publique, montrer que ce n’est pas une chose dissidente et établir une infrastructure professionnelle. La Triennale de Canton était une tentative de créer un laboratoire pour restructurer l’expérience de la modernisation de la Chine. » Convaincu que l’art peut changer les relations sociales, Hou Hanru a inscrit la politique au cœur de ses expositions. Tout aussi prégnantes, les questions liées à la ville et à l’urbanisme. Dès sa première prestation parisienne en 1992 avec « Paysages dans une ruine potentielle », il avait invité une quinzaine d’artistes à investir un immeuble en voie de démolition. L’idée ? Comprendre « pourquoi une ville détruit des choses récentes tout en gardant des vieux bâtiments, pourquoi la modernité n’est pas possible ».

À l’écoute
Les mutations urbaines sont au cœur du projet « Cities on the Move », conçu avec le curateur Hans Ulrich Obrist en 1997. Hou Hanru cultive d’ailleurs un certain talent pour les collaborations. Comme le souligne Hans Ulrich Obrist, « il y a avec lui un principe d’énergie. Un plus un font onze » ! Un axiome expérimenté à la Biennale de Venise en 1999, alors qu’il était le co-commissaire du pavillon français avec Denys Zacharopoulos. « On a pensé d’emblée en termes de projets dédoublés plus que séparés, 200 % plutôt que deux fois 50 %, se remémore ce dernier. Quand on est rapide, c’est difficile d’aller sur la pointe des pieds. Or, Hou Hanru est d’une écoute extrême. Ce n’est pas un courant d’air. Il a toujours été d’une grande loyauté. Alors qu’il vient d’une grande culture du masque, il n’a pas de masque. » Ainsi ne s’encombre-t-il pas de faux-fuyants dès lors qu’il n’apprécie pas une œuvre. « S’il choisit un artiste, c’est qu’il aime son travail, précise Shen Yuan. Il ne force pas les créateurs à aller là où ils ne veulent pas aller. Si un jour, il n’aime plus un travail, c’est chacun son chemin. »

Globe-trotter indépendant
Hou Hanru aime les lieux bousculant les habitudes des visiteurs, quitte à créer le malaise. « Toutes les choses originales débutent souvent dans des situations d’inconfort. C’est en faisant un geste bizarre que les gens commencent à prêter attention », insiste-t-il. En 1993, il expose des artistes comme Olivier Blanckart ou Adrian Schiess dans le couloir de son appartement parisien. À Venise, il doit en découdre avec l’espace obstrué du pavillon chinois. Lors de la Biennale d’Istanbul en 2007, il essaime des œuvres dans le labyrinthe du marché de textiles. Il affectionne aussi les expositions trop touffues, asphyxiées par un surcroît de textes. Du coup, son positionnement s’en trouve parfois affaibli. « Il a un positionnement fort, mais il n’est pas carré ou cartésien, défend Latifa Echakhch. Il aime quand il y a beaucoup de propositions, qu’on soit obligé de tourner la tête de tous côtés, qu’on ait l’impression que tout est en train de bouger. » Pour la critique d’art Martina Köppel-Yang, « il essaye de rentrer dans un sujet par plusieurs angles. Souvent, dans ses expositions, les œuvres ne sont pas “finies”. Ce ne sont pas des expositions d’histoire de l’art où les œuvres sont mortes. Hou Hanru expose des pièces où il y a de la vie.?Il n’a pas peur de l’échec. Il ne cherche pas la sécurité. Si vous le fixez à une place, au bout d’un mois, il veut bouger. » C’est le cas de le dire. Après avoir pris Paris pour escale, pour reprendre le titre d’une exposition organisée en 2001 à l’ARC/Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Hou Hanru a accepté une chaire d’études scénographiques et muséographiques au San Francisco Art Institute. Un arrimage pas si évident pour un homme indépendant, ce d’autant plus que San Francisco est isolé sur la carte culturelle américaine. Mais un modus vivendi semble exister avec le directeur de l’institution, Okwui Enwezor. « Une personne active à l’extérieur peut apporter des ressources intellectuelles, une expérience qu’on ne peut pas avoir en étant coincé dans un bureau », explique Hou Hanru. En revanche, le globe-trotter n’envisage pas de regagner son pays d’origine. Car sa tactique a toujours consisté à ouvrir la Chine par l’extérieur. « S’il allait vivre là-bas, il serait comme un tigre qui va dans la plaine. Il serait en danger, glisse Yang Jiechang. Il vaut mieux être dans des montagnes comme Paris ou San Francisco. »

HOU HANRU EN DATES
1963 Naissance à Canton (Chine)
1990 Installation à Paris
1999 Co-commissaire du pavillon français à la Biennale de Venise
2000 Commissaire de la Biennale de Shanghaï
2004 Commissaire de la Nuit blanche à Paris
2007 Commissaire du pavillon chinois à la Biennale de Venise, commissaire de la Biennale d’Istanbul
2009 Commissaire de la Biennale d’art contemporain de Lyon (16 septembre 2009-3 janvier 2010)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°309 du 18 septembre 2009, avec le titre suivant : Hou Hanru curateur

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