Paroles d’artiste

Hervé Di Rosa : « Mes projets sont une aventure »

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 27 mai 2005 - 896 mots

Hervé Di Rosa s’est fait connaître dans les années 1980 avec ses peintures figuratives et autres sculptures réalisées en particulier en collaboration avec son frère Richard. Depuis 1993, l’artiste a entamé un tour du monde, avec pour programme la conquête des techniques artisanales de toute la planète. Un pari fou. À l’occasion de son exposition personnelle à la galerie Louis Carré & Cie, à Paris, nous avons rencontré l’artiste parti en quête des « arts modestes », jusqu’à Miami, la douzième étape de ce voyage au long cours.

Comment est né ce projet autour du monde ?
C’est un clin d’œil. J’adorais les couvertures de Tintin : Tintin au Congo, Tintin en Amérique… C’était donc un petit peu dans cette idée-là. Et aussi pour essayer de réunir tout un travail que je fais depuis très longtemps et qui n’est pas perçu depuis 1981.

Ce que le public connaît de vous, c’est surtout la Figuration libre.
On m’a catalogué dans ce qui n’est en fait qu’une petite partie de mon travail, alors que, dès 1979, il est multiforme. Peu m’importe la figuration par exemple. Je fais aussi de la vidéo, de la photo… Le travail que je faisais par exemple avec mon frère à une époque, ce n’était ni des sculptures ni des peintures, mais de véritables installations. À partir des années 1990, il y avait un désir que la main de l’autre, que la technique de l’autre intervienne sur mes images pour me surprendre. J’ai donc essayé de structurer selon deux axes : le tour du monde pour la partie image, la partie création pure, puis une partie plus réflexive avec l’ouverture du Musée international des arts modestes (MIAM) à Sète.

Quelle est votre définition des « arts modestes » ?
Je place les arts comme des territoires. Dans l’art modeste, je prends en compte tout ce qui n’est pas
accepté dans toutes les catégories d’expression plastique définies.
La marionnette est l’art modeste du théâtre. L’accent, l’art modeste des langues. Les romans policiers, l’art modeste de la littérature.
Le MIAM, c’est plutôt un laboratoire qui essaie d’établir les nouvelles frontières de toute la création…

Comment ce projet de tour du monde a-t-il commencé ?
Il est parti d’un voyage au Mexique en 1989, où j’ai vu tout un artisanat contemporain : des techniques ancestrales mises au service de l’art touristique, un genre sur lequel on porte un regard assez cynique. En fait, l’art modeste égale le kitsch moins le cynisme. Dans les années 1980, j’ai pratiqué toutes les techniques occidentales (peinture à l’huile, acrylique, collage, lithographie, gravure…), et j’ai eu envie de remettre à jour et d’utiliser, un peu comme un compagnon, les techniques que l’on trouve dans le monde et que les artistes contemporains n’utilisent pas.

Ce tour du monde des techniques est un projet infini.
Oui. Aujourd’hui, j’en suis à la douzième étape. Mais Miami, c’est un peu un tournant, parce qu’en fait, au bout de dix étapes, je me suis dit que tout cela donnait naissance à une normalité qu’il fallait casser. Miami, c’est une ville qui, soixante ans plus tôt, était un marécage. Cette espèce de no man’s land culturel m’a permis de faire un retour sur moi-même, de faire une relecture de mon travail. J’ai donc commencé à faire une série de sculptures en résine monochromes, parce que je voulais utiliser le matériel de la Floride. Le matériau de cette industrie du rêve américain, c’est la résine polyester. J’ai donc fait toute une série de sept-huit sculptures en résine. Miami m’a aussi fasciné pour ces paysages, en dehors de South Beach, cette partie avec des immeubles Arts déco et qui ne représente qu’un trentième de la ville. Aux États-Unis, on construit, on détruit, on reconstruit… Mes peintures sont presque des relevés topo-graphiques de ces lieux, tout simplement. J’avais aussi envie de faire enfin un travail sur l’architecture.

Quelle est votre prochaine étape ?
J’ai ce grand projet avec Haïti, mais avec les problèmes qu’il y a là-bas, je n’ai pas pu encore y aller.
En revanche, à Miami, il y a une très grande communauté haïtienne et un endroit qui s’appelle « Little Haiti » où l’on trouve, entre autres, des produits pour les cérémonies vaudoues, comme les Vaudou Flags : des drapeaux faits de sequins. Alors, depuis un an, j’ai commencé toute une série de pièces cousues de sequins. Ce qui m’intéresse, c’est aussi l’émigration des gens et des pratiques culturelles traditionnelles… Comment des œuvres traditionnelles comme les Vaudou Flags à Haïti deviennent presque des objets pour touristes à un moment donné, alors qu’au départ ce sont des œuvres spirituelles. À chaque fois, mes projets sont une aventure, une quête aussi.

Vous êtes davantage le représentant de l’art global que de l’art modeste, en fait.
Je ne sais pas… J’ai commencé ce projet dans les années 1990, je n’aurais pas pu le faire avant parce que les avions n’allaient pas partout, les voyages étaient très chers et il n’y avait pas Internet. Et c’est vrai que ce tour du monde, c’est un peu un clin d’œil aux aventures de Tintin, parce que je n’ai pas envie de me prendre au sérieux non plus. Je ne suis pas ethnologue, critique d’art ou historien. Ce n’est que ma vision d’artiste.

MIAMI LANDSCAPES

Jusqu’au 9 juillet, galerie Louis Carré & Cie, 10, avenue de Messine, 75008 Paris, tél. 01 45 62 57 07

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°216 du 27 mai 2005, avec le titre suivant : Hervé Di Rosa

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