PAROLES D’ARTISTE

Gyan Panchal

« Porter l’attention sur le matériau »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 10 juin 2009 - 795 mots

À la galerie Frank Elbaz, à Paris, Gyan Panchal déploie de nouvelles sculptures qui, comme à son habitude, expérimentent les matériaux, l’évolution et la permanence de leurs qualités.

Les matériaux que vous utilisez dans vos œuvres ont toujours cette caractéristique d’être issus du pétrole. Pourquoi cet intérêt spécifique ?
Il s’agit d’un intérêt pour tout un ensemble de matériaux qui nous entourent au quotidien, sans que nous en soyons réellement conscients. Ce sont pour la plupart des isolants que l’on trouve dans l’architecture, derrière les murs, les planchers, les plafonds, et qui m’ont intéressé par le fait qu’ils contenaient comme une charge, une part d’histoire alors que par ailleurs, paradoxalement, ils semblaient en être totalement dépourvus. Face à ces surfaces blanches, à cette sorte de géométrie présente dès l’origine – puisque façonnée de la sorte en usine –, nous sommes face à un vocabulaire formel qui m’a fait me demander : « Quelle histoire contiennent encore ces matériaux ? » Je m’interroge donc quant aux indices que je pourrais être amené à découvrir dans mes travaux et qui seraient dans ces matériaux comme une sorte de permanence de leur histoire, de leur origine liée au pétrole. Et, bien en amont, d’une origine qui toucherait au minéral, au végétal et à l’animal.

Comment émerge la forme ? Quels sont les autres critères entrant en ligne de compte dans votre travail ?
Il y a différents faisceaux qui m’environnent. J’essaie au départ de porter mon attention sur le matériau et sur la manière dont, à un moment donné, il va réagir à tel geste, telle coupe, telle brûlure, telle fonte, etc. Comment tout cela va mettre en place une forme donnée. Par ailleurs, je suis très proche de la sensibilité d’une certaine histoire de l’art abstrait, depuis une sculpture processuelle, de l’ordre des post-minimalistes comme Barry Le Va ou Ulrich Rückriem, à un intérêt pour une peinture abstraite qui s’orienterait vers Robert Ryman ou Martin Barré. Il y a donc effectivement pour moi un intérêt pour des formes, des plans, des volumes, des espaces. Soit une sensibilité pour quelque chose de l’ordre d’une abstraction, avec en même temps la question de travailler cette abstraction à travers le matériau et la technique.

Le hasard a-t-il une place ?
Complètement. Même si la plupart des pièces semblent tout à fait déterminées et justifiées, elles sont le fruit de choix et d’accidents de parcours que je vais décider de garder, de travailler. Je m’intéresse à la question de comment, à un moment donné, travailler à partir de ce qui va être de l’ordre de l’aléatoire, de l’accident, de l’erreur… Comment réitérer ce moment-là, en conserver certains éléments et certains résultats, en mettre d’autres de côté, et en tout cas trouver un équilibre entre un contrôle, un choix dans les gestes, et tout un moment, tout un espace, où l’on va essayer de sauver l’aléa, le flou, l’indétermination.

Les titres de vos œuvres sont toujours énigmatiques : cija, leup, aitis 1, qqlos 1… Ont-ils une signification ?
Ces titres sont pour moi comme un travail en soi puisqu’ils constituent presque une partie de l’œuvre. Je titre mes travaux en partant du mot qui désigne le matériau en lui-même, ou alors d’un mot désignant une action portée au matériau, à la sculpture. Je vais rechercher son étymologie et tenter de remonter le plus loin possible. Par exemple cija, cette coquille d’huître inscrite dans un pliage de polyéthylène à base d’amidon, se réfère au verbe anglais « to fold », plier ; et effectivement il ne s’agit pas nécessairement de parler de toute cette charge de sédimentation mais plutôt du geste de pliure qui va définir comment cet élément minéral tient sur le mur. aitis 1, un bloc de polystyrène qui laisse voir des fractures, fait référence à un fragment, et donc presque à une pièce de puzzle qui ne mentionne pas son état mais évoque son lien brisé avec une origine, un passé. Ces mots, dans leur étymologie, me permettent peut-être d’introduire cette idée d’histoire, de temps. Surtout ces titres sont comme des noms de personnes donnés aux sculptures, mais des noms dont on aurait complètement oublié le sens, dont on se souviendrait à peine de la prononciation. De la même manière que l’on est face à un matériau qui paraît si éloigné de nous dans son rapport à un passé, on se trouve face à un mot qui nous semble totalement étranger, que l’on ne pourrait pas déterminer au niveau d’une langue, et qui donc rejoint toute une part d’abstraction qui pour moi est déjà à l’œuvre dans ces matériaux.

GYAN PANCHAL. THE ARCH AS A RAINBOW OF SHELLS

Jusqu’au 27 juin, galerie Frank Elbaz, 7, rue Saint-Claude, 75003 Paris, tél. 01 48 87 50 04, www.galeriefrankelbaz.com, tlj sauf dimanche-lundi 11h-19h.

Légende Photo : vue de l'exposition - © Galerie Frank Elbaz

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°305 du 12 juin 2009, avec le titre suivant : Gyan Panchal

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