Italie - Biennale

BIENNALE DE VENISE 2022

Giardini, des jardins (pas si) éloignés des bruits du monde

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 29 avril 2022 - 831 mots

VENISE / ITALIE

Dans les Giardini, certains pavillons ont été malmenés pour raconter l’histoire de leur peuple.

Venise. Bien surveillé par plusieurs policiers, l’imposant pavillon russe est fermé. En revanche, au cœur des Giardini, sur une place créée par l’Ukrainienne Dana Kosmina (« Piazza Ucraina », voir ill.), une pyramide faite de sacs blancs remplis de sable rappelle la situation dramatique de l’Ukraine. Sur des poteaux en bois sont accrochés des dessins bouleversants – essentiellement d’artistes mais aussi d’enfants – réalisés récemment sous le feu des bombes. Impossible, tout au long de la visite des Giardini, d’effacer ces images de l’esprit. L’éclectisme des propositions plastiques offertes par les artistes et les commissaires des pavillons s’y emploie pourtant. Le choix opéré dans ces lignes – inévitablement subjectif – tente de « classer » quelques projets selon le degré d’intervention des créateurs sur l’espace qui leur a été imposé.

S’attaquer aux pavillons

L’exemple le plus minimaliste est celui d’Ignasi Aballí, qui manipule le cadre du pavillon espagnol avec une œuvre intitulée Correction. L’artiste, qui a découvert que cet écrin n’était pas parfaitement aligné sur les pavillons voisins, le « reconstruit » en donnant l’illusion de le faire pivoter de dix degrés par rapport à l’original. Pour ce faire, Ignasi Aballí a repeint les murs avec de légers décalages dans l’espace en utilisant une couleur blanche, à peine différente de la couleur initiale. La commissaire, Beatriz Espejo, explique qu’il s’agit « d’un projet critique qui traduit une image disloquée de l’Espagne, deux pièces qui n’arrivent pas à s’adapter l’une à l’autre ». Le visiteur ignorant cette ambition y verra probablement une énième variation de l’infiniment mince de Marcel Duchamp ou une version de plus sur le thème du vide.

Le projet de l’artiste allemande, Maria Eischhorn est nettement plus convaincant : un travail subtil sur la lourde mémoire de sa nation. De fait, elle se confronte à l’histoire du pavillon allemand, construit en 1908 et agrandi sous sa forme actuelle par les nazis en 1938. Rappelons que, déjà en 1993, Hans Haacke s’était attaqué à l’intégrité de ce site officiel en faisant éclater le sol du pavillon. Maria Eischhorn procède plutôt par petites touches ; elle a fait « gratter » par endroits le plâtre des murs pour mettre à nu les briques et les raccords entre les deux étapes de la construction. Une manière de montrer que l’architecture de la Biennale n’a rien d’innocent.

La souveraineté des peuples

Le pavillon des États-Unis est rempli de statues géantes de femmes noires réalisées par Simone Leigh, la première Afro-Américaine à représenter son pays. Le style néo-classique n’est pas toujours très original mais conserve une efficacité redoutable pour évoquer l’esclavage et affirmer ce que l’artiste nomme la souveraineté (sovereignty). Un désir de souveraineté partagé par les habitants du nord de la Scandinavie, dans cette région où les frontières entre la Norvège, la Suède et la Finlande sont poreuses. Cette année, l’immense pavillon scandinave est rebaptisé « Sami », du nom d’un peuple autochtone. Sans distinction entre l’art et l’artisanat, les œuvres présentées font découvrir une culture trop souvent marginalisée.

Le folklore s’invite également à l’intérieur du pavillon autrichien où Jakob Lena Knebl et Ashley Hans Scheirl entassent un bric-à-brac qui rendrait jaloux n’importe quel brocanteur (des peintures et des vidéos, des objets et des hologrammes). On peut, certes, se féliciter de cette vision de la création privée de toute hiérarchie. Non dénués d’humour, les artistes n’hésitent pas à mettre en scène un canon recouvert d’une épaisse fourrure blanche. Mais la complicité entre l’avant-garde et le kitsch, cette « appellation contrôlée de niaiserie » promue genre, n’est pas sans danger. À trop manier le second degré, il ne reste que des effets de paillettes.

Les femmes racontent le monde

L’artiste polonaise d’origine Rom, Malgorzata Mirga-Tas, occupe tout autrement son espace (« Re-enchanting the World »). Faisant appel à d’immenses tentures brodées, elle s’inspire de la fresque du cycle des mois, qui décore le Palazzo Schifanoia à Ferrare pour narrer l’histoire de son peuple. Cette installation place le spectateur au milieu d’une épopée étrange dans laquelle les femmes sont les personnages principaux.

De son côté, la vidéaste grecque, Loukia Alavanou, recycle la mythologie en s’appuyant sur une pièce de Sophocle, Œdipe à Colone dans laquelle Œdipe, vieux et aveugle, accompagné de sa fille Antigone, arrive à Colone à la recherche d’un lieu pour mourir et se faire enterrer. De nos jours, c’est une communauté de Roms, qui est installée dans ce même lieu proche d’une décharge. À l’aide d’une caméra dotée d’une dizaine d’optiques, Loukia Alavanou réalise un film en réalité virtuelle. Le spectateur, immergé, suit ces nouveaux exilés et leur destin sans issue.

À la fin du parcours, le spectateur, saturé d’images, ne souhaite que le repos. Vladimir Nikolic lui offre cette accalmie par la représentation d’un rivage interminable qui court tout au long du pavillon serbe. (« Walking with Water »). Vision paisible du ciel et de l’eau, partagés par la ligne d’horizon selon une symétrie parfaite. Paysage de quiétude qui fait oublier, au moins pour une courte durée, le drame qui continue en dehors des Giardini.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°588 du 29 avril 2022, avec le titre suivant : Giardini, des jardins (pas si) éloignés des bruits du monde

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