PORTRAIT

Georges Pébereau - Collectionneur

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 15 mars 2011 - 1487 mots

Ancien grand patron, Georges Pébereau s’est pris de passion pour le dessin dont il est un important collectionneur.

« À quand l’étincelle de la révolution ? » Le titre de cette tribune publiée en 2008 par Georges Pébereau dans le quotidien Le Monde peut surprendre. Car ce brillant homme d’affaires, naguère président du plus grand groupe industriel français, fut l’acteur clé d’un grand scandale politico-financier en lançant en 1988 un raid sur la Société générale. Si l’opération avorte, l’affaire secoue le capitalisme français dans les années 1990. Aujourd’hui, l’ancien président d’honneur d’Alcatel dénonce sur son blog les parachutes dorés, l’outrance vulgaire au plus au sommet de l’État, les bourdes diplomatiques de Nicolas Sarkozy. Même s’il a raccroché depuis longtemps, le « golden papy », comme certains le surnomment, aimerait encore exister sur le terrain politico-financier. Mais c’est avec sa collection constituée de près de six cents dessins et débutée il y a une vingtaine d’années qu’il a renoué avec les projecteurs. « Une collection sans a-priori et presque sans parti pris », indique le catalogue publié par le Musée du Louvre lors de son exposition en 2009. Éclectique, Pébereau est sans doute le seul collectionneur hexagonal à couvrir un champ aussi large allant du dessin français à l’italien en passant par les romantiques allemands et les préraphaélites britanniques. La chronologie se révèle tout aussi élastique, courant de 1500 à 1918 jusqu’à Van Gogh et Egon Schiele.
Point d’ascendant familial dans cette passion née sur le tard. L’industrie et la politique occuperont longtemps cet ingénieur des Ponts et Chaussées passé par Polytechnique, directeur de cabinet de quatre ministres de l’Équipement en 1967 et 1968 puis patron en 1984 de la Compagnie générale de l’électricité (CGE). Lorsqu’il quitte brutalement le chaudron brûlant de l’industrie pour se retrouver en 1987 à la tête d’un fonds d’investissement, Marceau Investissements, la collection commence à occuper une part importante de sa vie. « Je suis passé d’un régime de travail de dix-huit heures par jour et sept jours par semaine à un rythme beaucoup moins imposant », explique-t-il. Ce temps libre lui permet de cultiver un penchant artistique qu’il avait manifesté précédemment pour les bronzes Renaissance. Un domaine dont il se détourne le jour où un conservateur du Musée du Louvre lui laisse entendre que, étant donné la qualité de ses pièces, il ferait mieux de collectionner des boîtes de conserve ! La réflexion pique au vif l’amateur et déclenche chez lui un réflexe : le besoin constant de certitudes. Aussi, lorsqu’il commence à acheter des dessins à Drouot, il s’oriente exclusivement vers ceux dont l’attribution est certaine. Ce avant d’augmenter la mise et d’élever le niveau de ses achats. « Collectionner des petits dessins, c’est se ruiner de façon certaine ; collectionner de grands dessins, c’est se ruiner de manière aléatoire », déclare-t-il avec malice. 
Pour se rassurer, Pébereau consulte d’emblée des personnes plus chevronnées, comme le collectionneur Louis-Antoine Prat, dont il rachètera les dessins plus modestes, ou le spécialiste de Sotheby’s Nicolas Joly. « Il aime avoir des avis, mais sa confiance est longue à gagner, indique ce dernier. Il vous teste beaucoup, et s’il sent des arrière-pensées, il arrête tout de suite. Il ne faut pas hésiter à le brusquer en disant ce qu’on pense. » 

« Un négociateur de génie »
En dépit de son armada de conseillers et son goût éclectique, Pébereau affiche certaines constantes, comme le goût pour la figure humaine au détriment du paysage. Il accorde aussi un soin tout particulier à l’encadrement des feuilles. « Il aime les dessins forts, puissants, qui ont un effet sur le mur, il y a quelque chose de presque pictural dans son goût, relève Nicolas Joly. Il n’est pas porté sur l’esquisse à peine ébauchée avec des traits légers. Il n’achètera pas un dessin sous prétexte qu’il est intellectuellement intéressant pour des historiens ou des conservateurs. » « Un joli dessin, une jolie image ne pourraient le satisfaire », ajoute le marchand zurichois Arturo Cuellar, lequel l’a aidé à monter son fonds de dessins germaniques. Un ensemble débuté sous l’impulsion du Musée du Louvre, pauvre en la matière, et dont Pébereau a comblé les trous en offrant régulièrement des feuilles en dation. Les liens avec le musée parisien ne s’arrêtent pas là. Le collectionneur, membre de 1996 à 2001 du conseil d’administration de l’établissement, a aussi contribué à financer la mise en ligne des marques de collection de dessins.
L’homme d’affaires ne perd toutefois pas le nord. « J’emploie la même méthode dont j’usais dans l’industrie : je regarde, je fais des études de prix, je négocie », explique-t-il. Il est d’ailleurs réputé pour faire une visite le dernier jour du Salon du dessin en cassant les prix… « C’est un négociateur de génie. On ne peut pas essayer de tricher avec lui. La négociation fait aussi partie pour lui de l’acte de collectionner », observe Arturo Cuellar. En revanche, même s’il se donne des limites en ventes publiques, il n’hésite parfois pas à lâcher la bride. Il a ainsi acquis en 2009 dans la vente « Bergé-Saint Laurent » un portrait d’homme de profil par Jacques Louis David pour 577 000 euros. Quelques mois plus tard, il achetait chez Sotheby’s à Londres un autre beau dessin de David représentant Alexandre, Appelle et Campaspe pour 657 250 livres sterling (742 127 euros). Cette feuille présentée in extremis dans l’exposition de sa collection au Louvre constitue un moment clé dans son parcours de collectionneur. « Il a vécu l’exposition au Louvre comme une consécration, comme ce fut le cas pour moi. Je forme le souhait que sa collection puisse être exposée dans plusieurs villes américaines », déclare Louis-Antoine Prat. L’homme d’affaires a obtenu du Louvre pour sa donation de huit dessins des clauses que peu d’institutions toléreraient. Il a ainsi donné les feuilles sous réserve d’usufruit, au profit de sa petite-fille. Le Cabinet des dessins peut attendre encore longtemps avant de voir arriver ce don… Mais en échange, Pébereau sait se retirer de la bataille lorsque l’institution désire acquérir un dessin, ou bien il l’achète en vue de le lui offrir en dation. Du donnant-donnant ? « Il connaît la valeur de l’argent, mais il ne calcule pas toujours. Il peut avoir des enthousiasmes », affirme Louis-Antoine Prat. « Son intérêt pour les dessins germaniques n’est pas qu’une question de convention avec le Louvre. Il aime réellement la culture et la littérature allemande », assure pour sa part Arturo Cuellar. 

Collection froide
D’après certains observateurs, cette collection manquerait de passion. « Elle est froide, quelqu’un comme Jean Bonna a plus de sensibilité. C’est moins une collection qu’un ensemble de dessins sans fil conducteur, alors que la collection de Louis-Antoine Prat, par exemple, est plus affinée », estime un marchand de dessins. « Pébereau est d’une dureté incroyable, mais il y a beaucoup plus de sentiments dans sa collection que dans celle de Jeffrey Horvitz », défend pour sa part un autre professionnel. 
Le volet présenté au Louvre était indéniablement inégal. On y trouvait quelques chefs-d’œuvre, tel le dessin de David acheté dans la vente « Bergé-Saint Laurent » ou le sublime Pardon de saint François d’Assise par Francesco Vanni, mais aussi une cohorte de feuilles inintéressantes comme cette Vue de Rome par Dominique Papety ou une esquisse sans attrait du baron Gros.
Le choix des huit dessins donnés sous réserve d’usufruit surprend aussi. Si la Jeune femme moulant du café de Louis Léopold Boilly est un vrai cadeau, car cet artiste est mal représenté dans le cabinet des arts graphiques, le reste des dons n’a pas dû lui fendre le cœur. Même l’étude préparatoire au Bain turc d’Ingres, qu’il a offert plus tard au musée, n’est pas renversante. Tout porte à croire que Pébereau est au final le grand gagnant de l’opération avec le Louvre. « Compte tenu de la valorisation que cette exposition donnera à la collection, est-ce vraiment au Louvre de remercier Georges Pébereau, et non le contraire ? », s’interrogeait le site Latribunedelart.com au moment de l’exposition.
Aujourd’hui, le collectionneur semble se diriger à nouveau vers les artistes italiens des XVIe et XVIIe siècles. Il a ainsi bataillé pour le Perino Del Vaga chez Sotheby’s en janvier à New York, une feuille finalement acquise par le Metropolitan Museum of Art. Que compte-t-il faire à terme de ce fonds ? « Cela représente un capital, mais je n’ai pas l’intention de vendre, c’est plus un patrimoine, explique-t-il. J’ai fait connaître mes amis du Cabinet des dessins à mes enfants, je laisse ceux-ci prendre leur décision. Une autre solution serait la vente publique. L’idéal serait de conserver la collection dans son intégralité. »

Georges Pébereau en dates

1931 Naissance à Digne (Alpes-de-Haute-Provence).

1968 Intègre la Compagnie générale de l’électricité (CGE).

1984 Devient président de la CGE.

1987 Crée « Marceau Investissements ».

2005 Publication de L’Industrie, une passion française (éd. PUF).

2009 Exposition de sa collection au Musée du Louvre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°343 du 18 mars 2011, avec le titre suivant : Georges Pébereau - Collectionneur

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